crèche

À la merci


Sur un berceau, couvert de paille ou non, l’être le plus fragile et le plus faible qui soit, un petit d’homme nouveau-né. Il dépend entièrement de l’amour et des soins qu’on lui donne, sans lesquels il mourrait.

Aucune créature n’est plus faible : seule, elle ne survivrait pas un jour, incapable qu’elle est de se nourrir, de boire, de se protéger du froid et de la chaleur, de se déplacer : un être à la merci du monde.

À la merci. Je me souviens de mes enfants nouveau-nés et de la crainte qui me saisissait quand je les portais dans mes bras, eux si frêles et si abandonnés à moi. Je me souviens de tous les enfants nouveau-nés que j’ai connus et de cette même panique ressentie devant tant de faiblesse recueillie en une si petite créature.

Je me souviens des infirmières, des infirmiers et de leur dévouement. De la tendresse et de l’amour donnés aux enfants, à la mère et au père. De cette humanité pleine d’humanité qui fleurissait au milieu de la nuit et qui nous apaisait.

Je me souviens aussi de mon père, devenu pauvre chose immobile et muette, et de ses yeux qui restaient seuls ouverts. Lui aussi était à la merci.

À la merci. Être tout entier entre les mains des autres et s’en remettre à eux. Amen et Inch Allah. N’être que cet abandon, que ce saut dans le vide.

Au plus profond de la faiblesse, pourtant, quelque chose murmure et hurle à la fois, que nous entendons dans tous les tintamarres, qui nous parle et que nous écoutons,  toute affaire cessante.

Certains, qui entendent, ne l’écoutent cependant pas, et c’est dans cette surdité de l’âme aux appels du coeur, dans ce refus de se laisser toucher, dans cette peur d’être affaibli par la faiblesse que meurt l’espérance et que naît le mal, petite mort du monde.

C’est de cette peur que naissent la cruauté et l’indifférence, de cette peur d’être aspiré par la faiblesse, de cette panique face à l’amour : être fort de peur d’être faible ; n’être fort que de sa propre peur.

Ô camps, Ô massacres des innocents, Ô crimes si souvent perpétrés ! Et Ô pauvres créatures élevées comme des choses et mal tuées dans de sinistres abattoirs ! Ô surdité de l’âme !

Les autres entendent, ce pourquoi il ne faut pas désespérer. Sont-ils venus, les mages, s’agenouiller, et mettre leur pouvoir entre les mains du nouveau-né ? Sont-ils venus se mettre à la merci de cet enfant qui s’était mis à la merci du monde ? Je ne sais.

Mais chaque jour, partout, recommence cet échange de mercis. Cette abdication de puissance envers qui n’est que faiblesse. Ce don de tout à qui n’est rien. Rien d’autre qu’un appel, un espoir d’espérance. Une étoile dans la nuit.

Noël tous les jours et chaque nuit recommencé.

Et le monde vit et se recrée sans cesse de cette nativité, de cet abandon partagé, de cet amour qui fut, est et sera donné à des milliards de créatures. L’amour est l’autre nom de cette recréation continuelle du monde.

L’amour est l’autre nom de Dieu.

 


L’image est celle d’une jolie crèche photographiée en décembre 2017 rue de Grenelle, à Paris.

Et revenu ce soir, 25 décembre 2019, au même endroit, je la revois au Centre Saint-Guillaume, aumônerie de Sciences-Po, enrichie de Jésus, d’un ange et des rois mages :

    poison et caramel
    décembre 25, 2019 at 12 h 14 min

    Quel beau texte… tellement vrai… Bon Noël Aldor… plein de sérénité et de lumière

      Aldor
      décembre 25, 2019 at 12 h 41 min

      Merci Éva. Pour toi aussi.

    François
    décembre 25, 2019 at 12 h 17 min

    Très beau très triste très vrai

      Aldor
      décembre 25, 2019 at 12 h 43 min

      Merci François, mais pas si triste.

    Anne-Ma
    décembre 25, 2019 at 15 h 23 min

    Merci, c’est tellement beau à lire et à écouter. Joyeux Noël Aldor.

      Aldor
      décembre 25, 2019 at 15 h 45 min

      Merci, Anne-Ma.

    Muriela
    décembre 25, 2019 at 15 h 28 min

    Très beau texte !

      Aldor
      décembre 25, 2019 at 15 h 46 min

      Merci, Muriela.

    Joyeux Noël | Mon carnet
    décembre 25, 2019 at 15 h 31 min

    […] A lire, à écouter, ce beau texte d’Aldor […]

    Solène Vosse
    décembre 25, 2019 at 19 h 37 min

    Merci pour ce très beau partage. Belle soirée.

      Aldor
      décembre 25, 2019 at 20 h 44 min

      Merci Solène. Bonne soirée à toi aussi.

    malyloup
    décembre 25, 2019 at 22 h 38 min

    oui tellement vrai! et touchant, très! merci tout plein pour ce moment de grâce

      Aldor
      décembre 26, 2019 at 10 h 01 min

      Merci Malyloup pour ce gentil message.

      Bonne journée dans ta belle nature !

    christinenovalarue
    décembre 26, 2019 at 8 h 46 min

    Tellement vrai, à méditer.?

      Aldor
      décembre 26, 2019 at 10 h 03 min

      Merci Christine.

      A méditer ? Oh ! Comme tout, je pense.

      Bonne journée.

    irene tetaz
    décembre 26, 2019 at 17 h 37 min

    Simplement merci, Aldor..et bel amour..

      Aldor
      décembre 27, 2019 at 13 h 58 min

      Merci Irène.

      Pour toi aussi.

    emotionsdefemme
    décembre 26, 2019 at 20 h 12 min

    Magnifique ton texte Aldor, plein d’amour et de sincérité … Effectivement nous oublions que c’est dans nos faiblesses et dans l’abandon que nous touchons à la force de l’amour et à l’humilité. Belle soirée.

      Aldor
      décembre 27, 2019 at 14 h 06 min

      Merci Catherine,

      Plein d’amour, certainement. De sincérité aussi, mais différemment.

      Je veux dire : bien sûr que je suis sincère et que je pense ce que j’écris. Mais il faut, pour publier, prendre un peu de distance, et quelque chose se joue là qui est un peu plus mêlé que de la pure sincérité.

        emotionsdefemme
        décembre 27, 2019 at 15 h 38 min

        Oui tu as raison. Je n’arrive pas trop à l’exprimer mais je comprends ce que tu veux dire.

Laisser un commentaire