
Vicence, 1918
(c) Archives de la planète
Vus de Sirius, les êtres humains sont certainement analogues les uns aux autres. Mais pour nous qui en sommes, pour qui l’unité fondamentale est tellement évidente qu’on n’y prête plus attention et qui avons, de plus, appris à décrypter, avec une extraordinaire acuité, le moindre détail des traits permettant de distinguer un être humain d’un autre, c’est la diversité, la magnifique diversité qui l’emporte.
Et pourtant, comment ne pas voir, derrière la variété des photographies et films des Archives de la planète, rassemblés entre 1908 et 1931 sous la direction d’Albert Kahn ; comment ne pas voir un grand album de famille reproduisant les mille facettes de notre humanité commune, un grand album où se dissout la distinction traditionnelle entre anthropologie et ethnologie ?
Dans le rassemblement, la conjonction, la juxtaposition de ces dizaines de milliers d’images fixes et animées captées un peu partout dans le monde, on perçoit qu’il n’y a pas, d’un côté, l’unité de l’espèce, et, de l’autre, sa diversité. Le trait fondamental d’homo sapiens, de cet homo parmi les autres ayant progressivement pris la place des autres homo, c’est son incroyable plasticité, sa capacité à se modeler, à adopter des rites, des coutumes, des croyances, des vêtements, des façons indéfiniment différentes d’être au monde pour s’adapter à la diversité des lieux, des climats, des écosystèmes où il a choisi de s’établir, de s’enraciner puis de se perpétuer avant de partir, éventuellement, ailleurs puis ailleurs encore. Son unité, son identité la plus profonde, c’est justement sa faculté d’adaptation et la diversité par laquelle elle se traduit.
Et pourtant, quand on regarde les visages, les visages souvent magnifiques de ces femmes et de ces hommes depuis longtemps rendus à la poussière, ces visages qui à la demande du photographe regardaient l’objectif et nous regardent donc, leurs yeux plongés au plus profond des nôtres, quelle proximité et quelle émotion ! De quelque pays qu’ils soient, quel que soit l’âge, le costume et la majesté, c’est toujours un frère ou une soeur, un proche qui nous tend son regard comme un miroir, et de ses yeux nous interroge.
Ils sont si différents et cependant si identiques avec leur sourire, leur gêne, leur fierté, leur lassitude, leur joie ou leur indifférence. Quels que soient leurs atours, leurs décorations, leurs bijoux, le panache de leur pose ou de leurs habits, ils sont finalement si transparents, si nus, si faibles, si peu de chose, si déjà disparus. Et si touchants, cependant, d’être là et de se prêter, de se donner en spectacle.
Je ne reviens pas, je ne reviens jamais de l’émotion qui me transporte à la vue de mes semblables, de ces êtres qui se savent si petits et si fragiles et qui pourtant, au même moment, se tiennent dignes, radieux et pleins d’espoir face à la vie.
Je me demande s’il n’y a pas, là aussi, une définition de l’humanité.
Le musée départemental Albert Kahn, récemment refait, est à Boulogne-Billancourt, près d’une boucle de la Seine, sur le site de la propriété d’Albert Kahn. Outre les collections de photographies et de films, on y trouve un jardin, d’une exceptionnelle beauté.






L‘image d’illustration a été prise par Fernand Cuville en 1918. On y voit une jeune fille photographiée à Vicence, en Italie. Pas d’autre détail. L’original est un autochrome sur plaque de verre. Elle porte le numéro d’inventaire A 19 398.
En illustration musicale, Bayaty, de George Gurdjieff, dans la très jolie version d’Anja Lechner et Vassilis Tsabropoulos, parce que Gurdjieff sut si bien, lui aussi, illustrer, au moins dans son œuvre musicale, l’unité dans la diversité.