tripes

Les mille et une nuits : le nettoyeur de tripes


La 386ème nuit touche presque à sa fin lorsque Shéhérazade, la sublime conteuse, commence l’histoire du nettoyeur de tripes, qui durera trois nuits supplémentaires. C’est cette histoire, une de ces courtes anecdotes qu’elle dit être tirées d’un recueil appelé Le parterre fleuri de l’esprit et le jardin de la galanterie(*), que je lis. 

C’est une histoire légère, gracieuse, coquine et pleine d’aimable moquerie pour les balourds d’hommes que nous sommes, vantards et prétentieux, naïfs et grossiers, qui croyons conquérir et finissons toujours par nous faire rouler par les femmes, ces créatures pleines de charme, de finesse et d’intelligence.


L’histoire se passe à La Mecque, centre sacré de l’Islam et son début au lieu le plus sacré qui soit, la Kaaba, dont les pèlerins venus du monde font le tour sept fois. C’est là que :

un homme se détacha du groupe, s’approcha du mur de la Kaaba, et prenant des deux mains le voile sacré qui recouvrait tout l’édifice, se mit dans l’attitude de la prière et, avec un accent qui lui partait du fond du coeur, s’écria : “Fasse Allah que de nouveau cette femme s’irrite contre son mari, pour que je puisse coucher avec elle !”

J’aime que cette histoire commence par un sacrilège commis le long de la Kaaba. Non que j’aime les sacrilèges pour eux-mêmes mais parce que la capacité d’une civilisation ou d’une religion à rire d’elle même et à accepter qu’on se moque d’elle – dès lors que cette moquerie – cette espièglerie comme vient de me le souffler un article de Célestine – n’emporte ni haine, ni vulgarité ni atteinte à la dignité – me paraît vraiment un signe de grandeur – et le refus de cette moquerie la marque la plus évidente du repli et de la décadence.

A l’époque où Les mille et une nuits sont écrits, d’abord en Perse puis dans l’ensemble de l’aire musulmane, l’Islam rayonne. Bagdad, Ispahan, Mossoul, Damas, sont les cœurs battants du monde, les grands carrefours de rencontre et d’échange entre l’Orient et l’Occident. Et c’est dans cette apogée et cette luxuriance que naissent Les mille et une nuits, bijou de finesse et de joie, de délicatesse et d’humour, qu’incarne merveilleusement Shéhérazade, cette jeune femme pleine d’attraits qui, au delà de sa maîtrise de la “chose ordinaire”, comme dit le narrateur, gagne nuit après nuit son salut puis l’amour du roi Schahriar par son talent de conteuse et l’enchantement de son verbe.

De la première à la dernière nuit, Les contes des mille et une nuits racontent la victoire de la douceur sur la violence, de l’intelligence sur la force, de la générosité sur l’égoïsme, du courage et de l’amour sur la peur et le repli. Ils chantent la beauté et la drôlerie du monde, la pétillance et le charme d‘être là. Ils sont une ode à la joie et au bonheur de vivre, cet élan vital qui, comme le rayonnement fossile dont parlent les astronomes, anime les créatures et la création.


Et telles sont les histoires splendides nommées Mille et une nuits, avec ce qu’il y a en elles de choses extraordinaires, d’enseignements, de prodiges, d’étonnements et de beauté.

Mais Allah est plus savant. Et seul il peut distinguer dans tout cela ce qui est vrai et ce qui n’est pas vrai. Il est l’Omniscient !

Or louanges et gloire, jusqu’à la fin des temps, à Celui qui reste intangible dans Son éternité, qui change à son gré les événements et n’éprouve aucun changement, le Maître du Visible et de l’Invisible, le Seul Vivant ! Et la prière et la paix et la plus choisie des bénedictions sur l’élu du suprême Potentat des deux mondes, notre seigneur Môhammad, Prince des Envoyés, le joyau de l’Univers ! A Lui notre recours pour une heureuse et bienheureuse fin !


Notes

La traduction utilisée est celle de Joseph Charles Mardrus, beaucoup plus pétulante que celle de Galland, faite à l’époque de Louis XIV et expurgée de tout érotisme.

Le dessin date de nombreuses années. Il représente plus un homme bleu, un touareg, que l’habitant de La Mecque que raconte le conte mais tant pis !

(*) Le Parterre fleuri de l’esprit et le Jardin de la galanterie

A la 373ème nuit, Shéhérazade a terminé l’histoire de la reine Yamlika, princesse souterraine. Et le texte dit :

“Lorsque Shéhérazade eut fini de raconter cette histoire extraordinaire,le roi Schahriar tout d’un coup s’écria : “Je sens un grand ennui m’envahir l’âme, Schéhérazade. Fais donc bien attention car si cela continue je crois bien que demain matin ta tête sera d’un côté et ton corps de l’autre.” Shéhérazade, sans se troubler, répondit : “Dans ce cas, Ô Roi fortuné, je vais te raconter une ou deux petites histoires, juste de quoi passer la nuit. Après cela, Allah est l’Omniscient !”. Et le roi Schahriar demanda : “Mais comment vas-tu faire pour me trouver une histoire à la fois courte et amusante ?” Schéhérazade sourit et dit : “Justement, Ô Roi fortuné, ce sont ces histoires là que je connais le mieux. Je vais donc te raconter à l’instant une ou deux petites anecdotes tirées du Parterre fleuri de l’esprit et du Jardin de la galanterie. Et après cela, je veux avoir la tête coupée !”.