Longtemps, je n’ai pas repassé.
Puis on m’a convaincu de le faire et je m’y suis mis.
Je ne le regrette pas. Repasser n’est pas désagréable : la table grince et crie plus qu’il ne le faudrait mais on trouve, à faire glisser et tourner le fer avec attention, le plaisir des activités méticuleuses.
Et puis il y a autre chose : à repasser des pulls, des pantalons, des chemises et des T-shirts, tous ces objets textiles voués à englober trois dimensions, on apprend que c’est avec délicatesse et dans un mouvement de conciliation qu’il faut manier le fluide, le mouvant, l’aérien, car à vouloir lui appliquer des règles et des façons rigides, on ne gagne rien et risque de tout perdre.
Qui veut repasser proprement une chemise doit donc d’abord mettre de côté ses habitudes d’ordre, de symétrie, de hiérarchie, pour apprendre à suivre et épouser, avec douceur et empathie, éveil et ouverture, les formes rondes et molles du tissu. Il y faut de l’attention, une certaine forme de bienveillance, de la souplesse (du poignet comme de l’esprit), de la patience et de la maîtrise de soi car toute tentative visant à brusquer cette matière qui paraît pourtant si docile se paie d’un froncement sans retour. Aussi lourd, solide et massif que soit le fer comparé au tissu, il ne peut en effet rien faire contre lui et c’est forcément avec lui qu’il doit avancer et composer.
Loin de marquer l’écrasement brut du textile par le métal, le repassage est ainsi art de conciliation et d’accompagnement, de dialogue et d’échange. Il ne s’agit ni d’affrontement ni de passage en force, il s’agit d’un mouvement de danse qui ne peut prospérer que dans un effort partagé et gracieux de compréhension mutuelle.
C’est une leçon de vie.
PS : cet article a été « podcastisé » le 25 mars 2015.