Le problème à trois corps (de Liu Cixin)

Il y avait l’autre jour à l’INALCO une conférence sur la guerre cognitive, et plus précisément sur la théorisation, par l’armée de la République populaire de Chine, de la guerre cognitive.

Ceux qui ont lu Le problème à trois corps (les deux premiers tomes sont passionnants, le troisième m’est tombé des mains) savent que cette question de la guerre cognitive est au coeur du roman de Liu Cixin, qui dépeint un conflit, un long avant-conflit, plutôt, une guerre psychologique de plusieurs siècles, entre humains et habitants d’une lointaine planète, Trisolaris, qui veulent quitter leur monde car celui-ci est rendu chaotique et donc inhabitable par les forces gravitationnelles imprévisibles qu’y exercent trois soleils.

Les Trisolariens ont décidé de rechercher une planète plus viable que la leur ; grâce à nos diverses émissions, ils ont repéré la Terre et ont jeté sur elle leur dévolu. Ils tentent ensuite, dans la perspective d’une invasion qui ne pourra se produire que dans plusieurs centaines d’années car Trisolaris est loin et les vaisseaux spatiaux pas si rapides que cela ; ils tentent ensuite d’affaiblir la capacité et la volonté de résistance des terriens en sapant leur confiance en la science et leur croyance en leur propre légitimité à habiter la planète bleue.

Mais, comme l’avaient déjà montré Goscinny et Uderzo dans La Zizanie, la guerre psychologique est chose vibrante et indéfiniment retournable. Si elle peut consister à démoraliser l’adversaire, elle peut également consister à lui donner faussement confiance, histoire de l’inciter à baisser la garde pour pouvoir plus facilement le manger tout cru. Le problème à trois corps est le récit de ces combats à trois, quatre ou dix-huit bandes, de ces retournements continuels de stratégies qui visent à susciter, chez les humains comme chez les trisolariens, une fausse appréciation des forces et faiblesses de l’autre, ou un comportement particulier qui, un jour, pourra être exploité contre lui.

L’attaque initiale des Trisolariens prend ainsi la forme d’une vague de suicides chez une partie de l’élite scientifique qui arrive à être convaincue que les fondements de la science sont faux, et que l’étudier est inutile. Parallèlement, cette même élite est incitée à jouer à un jeu en réseau dans lequel elle fait l’expérience de la vie chaotique des Trisolariens, apprend à les connaître et noue des relations avec certains d’entre eux. C’est par le biais de ce jeu que des informations sont communiquées d’un monde à l’autre et qu’une partie de la population décide de se mettre au service de Trisolaris. Les terriens ne sont pas en reste et mettent également en oeuvre des stratégies sophistiquées de dissimulation et de diffusion de fausses nouvelles si bien qu’on est rapidement perdu, sans plus savoir où est le vrai.

Ce qui est passionnant (j’en reviens ici à mon introduction), c’est la réflexion en abyme ouverte par le livre. On pourrait en effet considérer Le problème à trois corps, qui met constamment en scène l’armée chinoise se formant peu à peu à la guerre cognitive ; mais aussi le relais que lui donnent les Majors américaines du cinéma et de l’entertainment, comme une pièce, une pièce de jeu dans la guerre cognitive douce mais bien réelle que, par littérature, télévision ou réseaux sociaux interposés, se livreraient déjà certaines grandes puissances.

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