Il y a quelque chose de pourri dans le royaume technico-industriel dans lequel nous vivons, quelque chose de déréglé et de proliférant, que nous avons du mal à distinguer et à cerner car il émane de nos enfants les plus radieux, les plus doués et les plus prometteurs : la raison, la science, la technologie.
Quelque chose suinte et grossit, qui transforme progressivement nos victoires en défaites, nos progrès en régressions, et salit nos fiertés d’un motif de honte. Quelque part, on ne sait pas très bien comment ni pourquoi, quelque chose en nous s’est emballé, et la lumière qui nous guidait, qui éclairait le chemin en en chassant les ombres, est devenue aveuglante.
Quand avons-nous érigé la raison et l’analyse, dont les capacités à appréhender un visage du monde et à maîtriser la matière sont stupéfiantes et indéniables ; quand les avons nous érigées en façon de voir dominante et impérative, en clé unique à qui la tâche était légitimement confiée d’ouvrir, seule, toutes les portes, et de régir le monde, de l’asservir ? Quand avons nous vraiment commencé à croire que l’univers était une grande horloge, une grande machine dont les mouvements étaient décomposables et prédictibles à l’infini, que l’univers était cela, n’était rien d’autre que cela, et que la vérité des choses, leur sens, se trouvait au bout des rouages comme l’âme au bout du scalpel ?
Nous avons acquis, par la mathématique et l’ingénierie, une telle puissance, que nous en avons délaissé les autres arts libéraux, oubliant que la décomposition analytique, l’observation fine des briques, des atomes, des quarks, des instants, ne permettait que très rarement, si ce n’est jamais, de saisir la substance du tout, le flux continu, insécable, irréversible, de l’écoulement du temps. Nous avons oublié que la machine, l’horloge, le mécanisme, était une métaphore, une modélisation, un proxy, qu’il n’était pas le monde dans son irréductible singularité.
Nous avons oublié que la science et la technologie n’étaient pas là pour enterrer, pour succéder à l’art et à la poésie ; qu’ils en étaient fondamentalement incapables, mais pour les accompagner, les enrichir, les inspirer. Et nous leur avons donné un pouvoir, une force délirante et destructrice que nous n’osons réfréner car elles sont nos enfants, nos enfants chéries même si devenues prodigues et suicidaires.
C’est cette prolifération maladive, cette vibration cancéreuse d’une science qui, née d’une pulsion de vie, se retourne parfois, et de plus en plus souvent, en une pulsion de mort, que raconte Aurélien Barrau dans cet appel à la source, à la source poétique qui nous anime et qu’il faut retrouver derrière la pesanteur, l’encombrement des choses.
Quand ? Cela a probablement commencé quand le premier Homo s’est servi d’une pierre pour casser un os et que la première Homo s’est servi d’un bâton comme d’un levier. Il et elle se comprenaient parfaitement même si il et elle ne parlaient pas encore en mots. Il suffisait de tirer sur le fil pour tomber un jour ou l’autre sur le boson de Higgs. Il y a TOUJOURS un prix à payer à l’utilisation d’une technique. Le prix est souvent exorbitant. Il l’a toujours été. Il l’est de plus en plus. Nous le cachons en diminuant un peu et à grandes acclamations une fraction minime du prix à l’aide d’une autre technique.
Merci, Aldor, et une belle journée à toi.
Merci Gilles, qu’on ait, dès la première pierre levée, senti toute la puissance de la technologie, je n’en doute pas. Mais je ne suis pas sûr qu’on en ait fait, dès ce moment là, l’alpha et l’omega de tout, au point de la laisser nous hypnotiser.
Cela étant, il y a une idée d’Aurélien Barrau que je ne partage pas du tout, c’est son opposition à l’exploration spatiale. Justement parce quelle me paraît profonde et poétique.