
(c) Christophe Raynaud de Lage,
Comédie française
Il y a Nadia, qui demande justice ; et Hécube, qui se venge.
Il y a une reine déchue, ayant tout perdu et devenue esclave ; et une comédienne qui trouve à la fois la force de défendre son fils dans l’énergie de l’héroïne qu’elle incarne, et la justesse du jeu de son personnage dans le combat personnel qu’elle mène.
Il y a la scène, qui est à la fois le bureau d’un procureur menant enquête et les rivages de la Mer Egée, en Chersonèse de Thrace.
Il y a la scène, qui est le miroir à la fois parfait et imparfait que se tendent ces deux mondes, le miroir où ces deux mondes se réfléchissent, se jouent, prennent chair ou sens, se confondent, s’entremêlent ou se séparent.
Il y a la scène, qui n’est pas simplement le miroir mais le lieu de la répétition, le lieu singulier de la répétition, d’une répétition qui jamais ne se répète : simul et singulis. La scène est le lieu passeur de mondes, sorte d’Aleph où se crée, se façonne, évolue, sous la parole sage et prophétique du choeur, ce qui n’est pas encore figé, où se crée ce qui sera plus tard avant que le plus tard, que le trop tard n’advienne.
La scène, qui est le lieu de la répétition, est celui de l’échange, cet échange grâce auquel on a une chance d’échapper à l’autisme dont souffre le fils de Nadia mais peut-être plus encore Hécube, cette Hécube que la douleur a rendue folle au point non pas seulement de crever les yeux de Polymnestor, l’assassin de son fils, mais de la pousser à assassiner ses deux enfants.
Il y a cette demande faite à Nadia de se justifier, comme on le demande toujours aux femmes, de se justifier des violences qui ont été commises contre elle ou contre son fils, comme si c’était d’elles, les femmes, que relevait forcément la responsabilité de tout mal.
Il y a cette demande faite à Agamemnon d’absoudre, au nom de la justice, l’acte de vengeance d’Hécube ; et l’acceptation, probablement intéressée, de l’amant de Cassandre.
Il y a le mensonge, l’hypocrisie, l’aveuglement de ces hommes de pouvoir qui, avant même qu’on ne leur crève les yeux, ne voient rien, ne veulent rien voir, et qui ne deviennent voyants qu’après avoir perdu la vue.
Il y a la musique, d’Otis Redding, dont la voix chaude berce et enveloppe.
Et puis il y a le théâtre, ce lieu sombre où tout se joue et se rejoue mais sans que rien ne soit jamais pareil, ce lieu plus vrai que le vrai.
Hécube, pas Hécube, de Tiago Rodrigues, à la Comédie française
En illustration sonore, Sittin’ on the dock of the bay, d’Otis Redding