C’est à Frog que je dois d’avoir découvert Jacques Lusseyran dont je lis ici quelques pages, tirées de son autobiographie Et la lumière fut. De cette découverte aussi, je la remercie.
Jacques Lusseyran est écolier lorsque, par accident, il devient aveugle. Un autre monde, alors, s’ouvre à lui, qui me rappelle celui dont, parfois, Katia me parle quand elle dit sentir et voir mon amour, et que je ne connais pas.
Cet autre monde, il le découvre en ne cherchant plus à voir vers l’extérieur mais en tournant son regard, son regard sans yeux, vers lui-même :
C’est alors qu’un instinct (j’allais presque dire : une main se posant sur moi) m’a fait changer de direction. Je me suis mis à regarder de plus près. Non pas plus près des choses mais plus près de moi. A regarder de l’intérieur, vers l’intérieur, au lieu de m’obstiner à suivre le mouvement de la vue physique vers le dehors. Cessant de mendier aux passants le soleil, je me retournai d’un coup et je le vis de nouveau : il éclatait là dans ma tête, dans ma poitrine, paisible, fidèle. Il avait gardé intacte sa flamme joyeuse : montant de moi, sa chaleur venait battre contre mon front. Je le reconnus, soudain amusé, je le cherchais au dehors quand il m’attendait chez moi.
C’est une révélation, une illumination, une expérience mystique : c’est en renonçant à voir qu’il voit, en fermant ses yeux qu’ils s’ouvrent.
C’est une expérience de confiance et de foi :
Si, au lieu de me laisser par par la confiance et de me jeter à travers les choses, j’hésitais, je calculais, si je pensais au mur, à la porte entrebâillée, à la clef dans la serrure, si je me disais que toutes ces choses étaient hostiles, allaient me cogner, me griffer, alors infailliblement je me cognais, je me blessais. La seule manière commode de me déplacer à travers la maison, le jardin ou la plage, était de n’y pas penser du tout ou d’y penser le moins possible. J’étais alors guidé, je circulais entre les obstacles comme on dit que les chauve-souris font. Ce que la perte de mes yeux n’avait pas su faire, la peur le faisait : elle me rendait aveugle.
A huit ans, il découvre l’amour sous forme d’une trace rouge, couleur d’étoile ou de cerise bien mûre, que laisse sur la plage une petite fille :
Je la trouvais si jolie et cette beauté là était si douce que je ne pouvais plus rentrer le soir à la maison et dormir loin d’elle, parce qu’aussitôt un peu de lumière me quittait. Pour retrouver la lumière intacte, il fallait la retrouver Elle : on aurait dit qu’elle l’apportait dans ses mains, dans ses cheveux, dans ses pieds nus sur le sable, et dans sa voix.
Cela, je le connais.
C’est une très belle expérience que d’entendre lire ce texte…les yeux fermés. Merci
Merci.
grand merci pour ce partage qui fait *voir* la vie sous un autre jour, une autre *lumière*……….je pressentais semblable expérience…..encore faut-il….l’accepter pour qu’elle se révèle………whaaaa quelle ‘claque’!
Quelle claque, oui, Maly, tu as raison. Et comme les miracles, il faut l’accepter pour que cela se produise…
Ah, je suis contente que tu le lises et ne suis pas étonnée qu’il te plaise ! 🙂
Belle surprise matinale que de lire ces mots et surtout plaisante surprise.
On nous apprend à connaitre la lecture, l’écriture, la politesse (enfin…) et à être “meilleur” que son voisin, mais on ne connaît pas l’essentiel avant des années ou bien pas avant une forte émotion ou expérience.L’essentiel est ailleurs, heureux ceux qui savent le reconnaître.
Belle journée 🙂
Merci beaucoup, L’Ancolie.
On ne nous apprend pas forcément l’essentiel, tu as raison. Et c’est souvent dans les parcours les plus inattendus que cet essentiel se laisse découvrir.
Mais de tes photos et de tes récits, je déduis que tu es sur le bon chemin.
Bonne soirée.