Scarifications


 

Sur le pain qui cuisait j’ai scarifié un cœur.

La farine était blanche, le pain noir, l’entaille couleur de chair,

Et j’ai pensé à ces visages :

Ces visages blancs créés par des mains noires,

Yeux en amande et coiffures de geishas,

Que des hommes, au delà des mers, ont sculptés.

 

Visages blancs aux paupières fermées

Que je vois en fermant les paupières,

Rivages blancs aux mers noires et amères

Où coulent les bateaux de ces hommes qui sculptaient.

 

Ô Scarifications !

Du pain par le couteau qui tranche la farine,

De la mer et de l’onde par la houle et le vent,

Des visages par la pointe qui sculpte et qui dessine,

Et des vies et des êtres par les choses et le temps !

 

Rivages blancs que ravagent la tuerie et la rage

Éperdues qui coulent parfois du cœur de l’homme,

Qui naissent parfois par peur de l’homme,

Au cœur de ceux que la peur a perdus !

 

Visages que ravagent la honte et la rage

Et cette impuissance à rêver que savaient

Ces hommes qui savaient, quand ils fermaient les yeux,

Sculpter de leurs mains noires des visages de geishas.

 

Ô Scarifications !

Le cœur gît sur le pain comme une plaie ouverte,

Coulant comme une larme sur le visage blanc,

Un trop-plein qui déborde et que la chair rejette

Car on ne peut pas toujours garder les choses par devers soi :

Il faut parfois pleurer, il faut parfois crier, 

Et scarifier le monde de nos cris, de nos pleurs,

Grincer, comme la craie blanche grince sur le tableau noir,

Grince et hurle son cri, grince et hurle sa peur.

 

Ô Scarifications !

Absentes de ces visages blancs des geishas d’Outre-mer

Aux paupières fermées et songeuses et paisibles

Et aux tresses tressées comme au soleil levant.

 

Comment ces hommes noirs rêvèrent-ils ces femmes ?

Sur quels rivages leurs âmes découvrirent-elles ces yeux

Pareils à des amandes, semblables à des barques

Où ces hommes, aujourd’hui, quittant le rivage blanc,

Fuient, sur la mer amère que scarifie le vent,

la mort et la violence et la peur et la faim

Et l’absence de rêves et l’absence de pain ?

 


PS : la photographie représente un masque blanc de la tribu Punu (Gabon). Celui-ci est actuellement présenté au Musée des Arts premiers, dans le cadre de l’exposition Les forêts natales.

Aldor Écrit par :

4 Comments

    • 19 décembre 2017
      Reply

      Merci, Perle.

    • 19 décembre 2017
      Reply

      Merci, Mylène.

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