Les nombres premiers sont les nombres insécables, qui ne peuvent être décomposés en produits de nombres entiers : ils sont 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, 29, 31, etc. Ils constituent une longue suite – infinie, cela a été montré – qui fascine les hommes depuis la plus haute antiquité parce que ces nombres, une fois multipliés entre eux, permettent de former tous les autres nombres, et qu’ils sont donc les atomes de base de l’univers mathématique, si ce n’est de l’univers tout court. Or ces nombres sont également très mystérieux car si l’on a progressivement appris à connaître les lois qui régissent leur répartition statistiques, on ne sait néanmoins pas prédire leur apparition.
Si l’on tourne maintenant un peu les yeux sur le côté et qu’au lieu de s’intéresser seulement aux nombres premiers on s’intéresse aussi aux autres, on voit qu’on peut catégoriser tous les nombres selon ce que j’appelle leur dimension, qui porte peut-être un autre nom. J’appelle dimension d’un nombre le nombre de nombres premiers dont il est le produit : 4 est de dimension 2, ainsi que 6, parce que 4 égale 2 fois 2 et que 6 égale 2 fois 3 : 30, en revanche, est de dimension 3 parce que 30 égale 2 fois 3 fois 5 . De la même façon, 40 est de dimension 4 parce que 40 égale 2 fois 2 fois 2 fois 5, et 30 030 de dimension 6 parce que 30 030 égale 2 fois 3 fois 5 fois 7 fois 11 fois 13.
Si l’on essaie de représenter cela graphiquement, en mettant la suite des nombre en abscisse et leur dimension en ordonnée, on obtient le schéma suivant, qui fait penser à un boulier, une carte perforée ou la partition de ce qui serait probablement une cacophonie :
Sur la ligne 1, figurent les nombres premiers, qui sont de dimension une. On voit qu’au fur et à mesure que les nombres grandissent, ils se raréfient. Les nombres de dimensions 2 et 3 sont apparemment les plus communs, les plus nombreux et on ne distingue as, à vue d’œil, sur ce petit échantillon, de grande variation dans leur densité. Et puis, au fur et à mesure qu’on avance dans la suite des nombres, on voit apparaître des nombres de dimensions supérieures. Ce sont toujours les puissances de 2, familières aux informaticiens, qui apparaissent les premières : 4, qui est 2 fois 2, est le premier nombre de dimension 2 ; 8, qui est 2 fois 2 fois 2, est le premier nombre de dimension 3 ; 16, qui est 2 fois 2 fois 2 fois 2, est le premier nombre de dimension 4, et ainsi de suite : 32, 64, 128, 256, 512, etc.
Des nombres de dimension supérieure apparaissent et l’on devine que plus on ira loin plus l’on découvrira des nombres de dimensions importantes – le premier nombre de dimension 20 est 1 048 576, c’est-à-dire 2 puissance 20 – mais la dimension moyenne des nombres augmente-t-elle continûment pour autant ? je n’en suis pas sûr. Quand on trace la courbe qui représente cette dimension moyenne, on voit qu’elle a une allure logarithmique et je ne suis pas certain que son asymptote soit une droite croissante.
Mais le plus important n’est pas là.
Le plus important est, en revenant au premier graphique, le fait que cet ordonnancement ne soit pas incohérent, ne soit pas aléatoire. Je ne distingue pas la règle qui est en action, la loi qui est à l’oeuvre derrière cette sorte de boulier. Cela m’échappe et me demeure totalement incompris mais je perçois que ça n’est pas forcément incompréhensible, et là est la merveille.
En introduction et prolongement musicaux, les Pleureuses assyriennes, de Georges Gurdjieff, dans la belle version de Anja Lechner et Vassilis Tsabropoulos.
merci pour ces partages ! passionnant et musicalement tout aussi merveilleux.
Merci beaucoup Emmanuelle !
Le début d’une ligne de recherche en mathématiques ! Est-ce que la “dimension” d’un nombre tend vers l’infini quand le nombre lui-même croit vers l’infini ? Je crois bien que oui, juste pour la raison que tu mentionnes : 2^20 est de dimension 20, 2^21 est de dimension 21 … 2^2998 est de dimension 2998. Et 2x3x4x5x … x2999 est également de dimension 2998. Et je pourrais multiplier par 3000 pour passer à la dimension 2999. Quant à la structure …
Bonne soirée, Aldor, et merci pour le touillage de neurones !
Bonjour Gilles,
Ma question était plutôt : la dimension moyenne des nombres (de 1 à n) croît-elle quand n croît ? Au début oui, ça se voit sur la courbe. Mais ensuite ? La dimension moyenne reste faible parce que même dans les très grands nombres, il demeure des nombres premiers et des nombres de faible dimension…
Cette voie de recherche est très intéressante. Classer les nombres par ordre croissant n’est certainement la façon la plus productive de comparer des ensembles de nombres. Intuitivement, on sent même qu’il y a une contradiction à essayer de trouver un ordre dans les nombres premiers dont l’essence est la multiplication avec des nombres classés par un ordre soumis à l’addition !