Théorème, de Pier Paolo Pasolini, est l’histoire de qui se laisse bousculer, emporter, régénérer ou détruire par la rencontre de l’autre.
Théorème est l’histoire de cet emportement.
Une famille de la grande bourgeoisie, dans le Milan de la fin des années 1960. Un inconnu arrive, qui est à la fois inconnu et intime, inattendu et familier, et dont la présence, le regard, le sourire, va amener chacun à se connaître, à se découvrir, à se révéler.
Théorème est l’histoire de cette mise à nu.
Chaque membre de la maisonnée : la bonne, le fils, la mère, la fille, le père, vont, pour l’inconnu, se dévêtir et se dévoiler. L’emportement est d’abord acceptation du charme de cet autre, acceptation de l’amour qu’on lui porte, acceptation de son désir, en sa forme singulière.
L’inconnu écoute, regarde, accompagne et répond, avec une infinie douceur, au désir qui lui est exprimé et qu’il comble, avec chacun. Il ne parle pas d’amour ; il le fait.
Puis un jour vient où il part et où chacun se retrouve esseulé.
Théorème est aussi l’histoire de cette esseulement.
Emilia, la bonne, qui n’était qu’une ombre éperdue, devient thaumaturge : une sainte qui lévite au dessus des toits des granges piémontaises. Le fils, qui a découvert l’art, paraît le perdre et s’y perdre. La mère se découvre nymphomane avant, peut-être, d’entrer dans les ordres (au moins entre-t-elle dans une église) ; la fille tombe en catalepsie ; le père fait don de son usine aux ouvriers et s’en va nu dans le désert comme un prophète fou.
Théorème est une sorte de version moderne de l’Idiot, de Dostoïevski. Comme le Prince Mychkine, le voyageur enchante chacun de son charme christique, angélique. De sa seule présence, de sa seule attention, il ouvre les coeurs et y porte la lumière. L’ange est celui qui éveille et dérange, laissant une blessure qui ne se referme pas.
Cette blessure, c’est l’amour, c’est Dieu, c’est l’autre ; c’est aussi la douceur. Je pensais, regardant le film, à Puissance de la douceur, d’Anne Dufourmantelle, et à ce qu’elle écrit de cette énigme :
« Son privilège est l’accord. Elle tient compte de la cruauté, de l’injustice du monde. Être doux avec les choses et les êtres, c’est les comprendre dans leur insuffisance, leur précarité, leur immaturité, leur bêtise. C’est ne pas vouloir ajouter à la souffrance, à l’exclusion, à la cruauté et inventer l’espace d’une humanité sensible, d’un rapport à l’autre qui accepte sa faiblesse ou ce qu’il pourra décevoir en soi. Et cette compréhension profonde engage une vérité. »
Théorème est l’histoire de cette douceur qui emporte tout.
En illustration sonore, le magnifique Tears for Dolphy, de Ted Curson, qui est le thème utilisé par Ennio Morricone pour la bande sonore de Théorème.
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