
L’adoration des mages
À droite, couvertes de lumière, la richesse, le pouvoir, la ville, la citadelle, qui s’élèvent comme une montagne, une Babel, une cité d’or foisonnante ; à gauche, un ciel immense, nébuleux, rempli d’étoiles sous la splendeur duquel tout en bas apparaît, tout petit, un nouveau-né.
Dans la salle où il est présenté, au Collège des Bernardins, le pan de gauche a dû être séparé du reste du tableau : l’enfant, pour qui tous sont rassemblés, que tous viennent adorer, est absent ; ou plutôt, il est là, mais un peu plus loin, derrière une colonne, et on ne le voit pas immédiatement. Et c’est très bien ainsi : on ne distingue d’abord que l’ensemble principal : la puissance et la gloire, la profusion et la surabondance de vie et de richesse, qui sont comme tendues, unies, confondues dans un même mouvement, un même élan, une même pulsion qui les entraîne à quitter l’éclat pour le bleu sombre de la nuit, à dégringoler des sommets de la cité d’or pour fouler, tout en bas, l’humilité du sol. Et il y a là, dans ce seul mouvement que fige le tableau, dans cette simple transition, cet abandon des joyaux, des lustres et des palais pour le scintillement discret, la pâle lueur des étoiles piquées sur la voûte nocturne ; il y a là quelque chose d’aussi important, et peut-être de plus important, que cet enfant dormant à même la terre : la marque que quelque chose est advenu.
L’adoration des mages est la pièce maîtresse de l’exposition Épiphanies que le Collège des Bernardins consacre à Augustin Frison-Roche. On trouve dans cette exposition d’autres magnifiques tableaux (les cathédrales végétales inspirées de Huysmans, la série des sept jours de la Création) mais ils dessinent un chemin vers l’Adoration, la plus épiphanique de ces épiphanies.
Gaspard, Melchior et Balthazar avancent, leurs présents à la main, vers l’enfant couché sur le sol dont ils ont eu révélation ; mais dans la sacristie du Collège, où le tableau est exposé, une autre révélation, une autre épiphanie opère, qui laisse le visiteur médusé.
Il y a des oeuvres si pleines, si vibrantes, si profondes (le Blue Notebooks, de Richter ; le Journal d’Etty Hillesum, et peut-être cette Adoration des mages) qu’elles ouvrent des portes nouvelles, révèlent ce qui était enfoui et donnent, pourraient donner envie de croire.
La photographie rend très mal la beauté de l’œuvre, ainsi que sa taille : 350×460 cm.
L’entrée de l’exposition (qui dure jusqu’au 26 février) est libre mais il peut être conseillé de réserver un créneau horaire sur le site du Collège.
Christiane Rancé a publié chez Klincksieck le catalogue de l’exposition.
On pourra lire dans Narthex, sous la plume de Jeanne Villeneuve, une analyse théologique de l’exposition .
Merci pour ce billet, Aldor ! Je ne connaissais pas Augustin Frison-Roche. Je suis allé voir son site faute de pouvoir me précipiter au Collège des Bernardins. Fantastique mise à plat et en lumière des sujets. Il peint sur bois et utilise volontiers la feuille d’or. J’imagine facilement que mon écran n’en rend qu’une pâle impression.
Un bel après-midi à toi, Gilles