Le livre de Rachel Carson, à la fois solidement documenté et écrit avec poésie et humanisme, ne fut donc pas sans effet, il s’en faut de beaucoup. Et pourtant, soixante ans après, comme cinquante ans après le rapport Meadows, comment ne pas constater qu’il fut vain, en ceci que tout ce qu’il disait est à redire, que tout ce qu’il avait permis de commencer est à recommencer ?

Image générée par Midjourney

Il y a plus de soixante ans, en 1962, Rachel Carson décrivait, de façon précise, méthodique et documentée, la pollution, ou plutôt l’empoisonnement général et systémique de la biosphère par les produits chimiques de synthèse, notamment pesticides et herbicides. Elle montrait comment ces produits, biocides à large spectre, se concentraient chez les êtres vivants, notamment les insectes, se combinaient éventuellement avec d’autres produits, se dégradaient parfois pour donner naissance à d’autres molécules, atteignant rapidement ou avec le temps des concentrations létales finissant par contaminer toute la chaîne alimentaire, et empoisonnant tous les animaux, y compris les hommes.

Elle indiquait, comme on le redécouvre aujourd’hui avec les micro-plastiques, les dioxines ou les PFAS qu’on retrouve désormais partout, que :

« Pour la première fois dans l’histoire du monde, tous les êtres humains sont maintenant en contact avec des produits toxiques, depuis leur conception jusqu’à leur mort. Au cours de leurs vingt ans d’existence, les pesticides synthétiques ont été si généreusement répandus dans le monde organique et inorganique qu’on en trouve quasiment partout. On en a décelé dans la plupart des grands ensembles fluviaux, et même dans d’invisibles rivières souterraines. On en trouve dans les sols où ils se sont déposés dix ou douze ans plus tôt. Ils sont entrés dans le corps des poissons, des oiseaux, des reptiles, des animaux domestiques et sauvages, à tel point que les laboratoires n’arrivent plus à trouver pour leurs études des bêtes exemptes de toxiques. On a trouvé ces poisons dans les poissons de lacs perdus parmi les montagnes, dans des vers de terre enfouis profondément, dans des œufs d’oiseaux, et dans l’homme lui-même. Ces produits chimiques existent maintenant dans le corps de la grande majorité des gens, quel que soit leur âge.  Il y en a dans le lait maternel, et probablement dans les tissus des enfants à naître. « 

C’est ce livre qui, bien que villipendé par l’industrie chimique, conduisit à la quasi-interdiction, aux États-Unis puis dans la plupart des pays du monde, du DDT, puis à la signature, en 2001, de la Convention de Stockholm visant à interdire l’utilisation d’une quinzaine de polluants persistants.

Le livre de Rachel Carson, à la fois solidement documenté et écrit avec poésie et humanisme, ne fut donc pas sans effet, il s’en faut de beaucoup. Et pourtant, soixante ans après, comme cinquante ans après le rapport Meadows, comment ne pas constater qu’il fut vain, en ceci que tout ce qu’il disait est à redire, que tout ce qu’il avait permis de commencer est à recommencer ?

Il ne s’agit pas ici pour moi d’entonner un chant plaintif, de pleurer le silence des oiseaux et des printemps ; il s’agit de rappeler que savoir ne suffit pas, ne suffit jamais, et que, comme l’amour, les combats les plus importants doivent être chaque jour et indéfiniment repris car ils s’évanouissent, sinon, dans l’usure et l’oubli.


L’image d’illustration (dont l’idée m’a été inspirée par la couverture du Printemps silencieux aux éditions Wildproject, à été générée par Midjourney à partir du prompt suivant : « Un tissu imprimé de style 18e siècle représentant, sur un fond bleu turquoise, des très nombreux oiseaux divers et colorés voletant parmi des fleurs, des papillons et des plantes diverses et colorées. ».

En fond sonore, Bayati, de Georges Gurdjieff, et un enregistrement d’oiseaux repris de l’excellent site BBC Sound Effects.

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