Beauté de l’incertitude

Au tout début du premier tome de Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, Vladimir Jankelevitch observe, interrogativement :

« Comment expliquer l’ironie passablement dérisoire de ce paradoxe : que le plus important, en toutes choses, soit précisément ce qui n’existe pas ou dont l’existence, à tout le moins, est le plus douteuse, amphibolique et controversable ? »

Il met ainsi le doigt sur une grande vérité, qui est aussi un grand mystère, une vérité mystérieuse mais patente : les choses les plus précieuses, dans tous les domaines, sont souvent celles qui ne se voient pas, ou plutôt celles dont l’existence, la pérennité, la réalité même, ne sont jamais totalement assurées : on croit comprendre mais on n’en est pas sûr ; il semblerait que mais le fait n’est pas totalement avéré ; c’est « comme si »  – mais jamais le « comme » ne se résorbe entièrement. Ou plutôt : il peut se résorber, mais non de lui-même ; c’est le spectateur, qui de spectateur devient acteur, qui, dans sa subjectivité, par un geste unilatéral de confiance, un saut de l’ange qui est geste de foi, donne assurance et solidité à ce qui est plus léger et plus indistinct que l’air, ineffable, incertain. Par sa confiance, qui est don de soi, il donne réalité et substance à ce qui n’aurait peut-être pas, sans cela, atteint ce degré d’être.

Simone Weil l’avait également noté dans ses Réflexions sur le bon usage des études scolaires :

Les certitudes de cette espèce sont expérimentales. Mais si l’on n’y croit pas avant de les avoir éprouvées, si du moins on ne se conduit pas comme si l’on y croyait, on ne fera jamais l’expérience qui donne accès à de telles certitudes. Il y a là une espèce de contradiction. Il en est ainsi, à partir d’un certain niveau, pour toutes les connaissances utiles au progrès spirituel. Si on ne les adopte pas comme règle de conduite avant de les avoir vérifiées, si on n’y reste pas attaché pendant longtemps seulement par la foi, une foi d’abord ténébreuse et sans lumière, on ne les transformera jamais en certitudes. La foi est la condition indispensable.”

On sent au fond de soi que ce qui donne sa valeur aux choses est ce qui n’est pas totalement épuisable dans une définition, que les routes les plus belles et qui valent le plus d’être parcourues ne sont pas celles dont on trouve le tracé sur les cartes mais celles que notre foi, notre amour, extirpera de l’encore incréé, fera jaillir du vide, naître du néant.

Et c’est ainsi que nous avançons, dans une nuit que notre espérance seule éclaire, le long de chemins que nous croyons chercher mais qui ne sont pas encore tracés, avançant un pied après l’autre sur un sentier que nos pas font naître.

C’est notre certitude seule qui brise l’incertitude. Et elle seule peut le faire.

Aldor Écrit par :

4 Comments

  1. 24 février 2017
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    “Regarder sans comprendre, c’est le paradis. L’enfer serait donc le lieu où l’on comprend, où l’on comprend trop…”

    Cioran

    • 24 février 2017
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      Oh ! Quelle belle définition de l’enfer !

      • 24 février 2017
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        Il y a sur le même thème ;

        Viendra le jour où vous chercherez l’ignorance comme une eau pour la soif.

        Marie Noël

        C’est un plaisir de découvrir ton blog. Ca c’est fait par l’intermédiaire de celui de Marronbleu, un “like” que tu y as laissé. Je vois que Simone Weil est un auteur qui te touche, moi aussi. Je n’ai lu que des citations d’elle et me suis surtout intéressé à sa vie. Elle est morte jeune mais a eu le temps d’écrire une oeuvre considérable et de rencontrer des esprits des plus brillants de son époque, je pense à Albert Camus et à Georges Bataille. Les avis divergent sur la manière dont c’est arrivé, son décès. Certains pensent qu’elle s’est laissée mourir, d’autres que c’est la maladie qui l’a emportée. Elle était de ces êtres dont il semble que la mission sur terre est d’éclairer les Hommes sur leur nature divine, tout comme Cioran d’ailleurs, des poètes.

        • 24 février 2017
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          Vincent,

          C’est d’abord par sa vie de normalienne allée voir comment se passait l’usine que j’ai d’abord, moi aussi, connu Simone Weil.Et puis j’ai essayé de la lire et ai parfois eu le sentiment de la comprendre, en partie. Et ce fut une révélation.

          De Cioran, j’ai entendu parler mais n’ai jamais rien lu de lui. J’essaierai; mais quoi ?

          Merci de ta visite.

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