“Bon, on va tous sortir mater le fleuve et les gens et puis sentir l’odeur du monde”, déclare, dans Sur la route, Neal Cassady à la petite bande qui traverse avec lui l’Amérique tandis que la voiture et ses passagers viennent d’embarquer sur un ferry qui, de la Nouvelle Orléans, va les transporter en face, à Algiers, sur l’autre rive du Mississippi.

“Bon, on va tous sortir mater le fleuve et les gens et puis sentir l’odeur du monde”, déclare, dans Sur la route, Neal Cassady à la petite bande qui traverse avec lui l’Amérique tandis que la voiture et ses passagers viennent d’embarquer sur un ferry qui, de la Nouvelle Orléans, va les transporter en face, à Algiers, sur l’autre rive du Mississippi.

Aller sentir l’odeur du monde. Il y a, dans cette façon de dire, un peu du chien allant renifler le postérieur de son voisin et la connotation est assez juste s’agissant de cette curiosité, de cette gourmandise, de cette faim qu’on éprouve parfois et que je connais bien de sortir, d’aller par les rues et les places, les magasins et les cafés pour simplement, joyeusement, et d’une certaine façon innocemment, se frotter au monde, aux autres, à nos semblables. Sur la route, c’est un peu ça : le récit d’une quête, d’une orgie ininterrompue de frottements, d’odeurs, de goûts, de sons, de rencontres.

Des passages comme celui du ferry, où l’on respire soudain l’odeur épaisse du fleuve, du cambouis et de la transpiration, où l’on sent le vent sur le visage et peut-être quelques embruns mêlés de pluie ; des passages qui exhalent le bonheur d’être au monde, il y a en a plein dans ce livre, ce long livre tapé à la machine sur un long rouleau de papier, plus long encore que celui des 120 journées de Sodome que conserve la Bibliothèque nationale.

Il y en a, des passages magnifiques, où les mots explosent et où l’on est roulé dans la brutalité, la sauvagerie et la splendeur des choses. Des passages sur les femmes, les paysages, les cieux, les villes, les plaines couchées par le vent, les musiques, les rythmes de jazz, le cinéma, la mécanique : toute une Amérique qui vibre et dont Kerouac nous donne à sentir la palpitation, la palpitation chaude et bordélique.

Les femmes (parfois des mères, souvent des filles) sont les éléments de stabilité de ce monde constamment à la dérive, de ce microcosme de jeunes mâles, de bad boys qui se cherchent comme des adolescents perpétuels, trouvant dans la benzédrine et autres stupéfiants le moyen de ne jamais s’ancrer, de toujours fuir. Les femmes sont les amers, les phares aimés puis toujours délaissés de cette société d’errants qui, toujours, finit par couper les amarres et courir avec le vent.

Car aux femmes, finalement, nos hommes, nos navigateurs des sens et des passions, préfèrent la route, la route avec laquelle ils sont vraiment fiancés, avec laquelle seule probablement ils entretiennent un rapport amoureux et charnel :

Saisir le continent, l’empoigner, le sentir sous soi qui gémit sous le ruban d’asphalte… La grande héroïne du roman, c’est la route. La route ouverte comme un océan et qui, comme lui, conduit partout, permet de tout embrasser, de tout sentir, de tout connaître :

Il y a, dans ce livre qu’on aimerait tant aimer totalement, d’extraordinaires moments de grâce, d’exaltation du bonheur de vivre. Mais que de pages monotones, que de pages où l’on traîne plus encore son ennui que Kerouac, où l’on est fatigué de ces gamins qui, cherchant toujours les sensations nouvelles, gâchent leur vie et celles de ceux qui les aiment.


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