On aurait aimé (et ça n’est pas tout à fait hors sujet) un visage plus avenant, plus jeune, plus sportif, plus élancé, mais c’est sans doute notre désir, notre attente qui est trompée, pervertie peut-être, par l’image de douceur et de grâce qui colle aux femmes, que nous collons aux femmes, et que nous finissons par exiger d’elles. Mais le fait est qu’elle n’était pas spécialement gracieuse ou souriante, du moins dans les photos qu’on a gardé d’elle.
Elle, c’est Alice. L’Alice qui donne son nom à la pièce : Merci Alice ! jouée par Karen Chataîgner au petit théâtre de la Contrescarpe ; celle qu’on voit sur les murs de l’exposition À nous les stades actuellement présentée à la BnF ; et qu’on rencontre à nouveau parmi les très belles photos affichées dans et autour de la galerie Roger-Viollet, rue de Seine. Toujours, au centre, Alice Milliat ; et cette question : comment a-t-on pu croire si longtemps impossible, dangereux, déplacé ou inconvenant ce qui aujourd’hui va de soi ? ; et cette autre, plus redoutable encore : comment a-t-on pu si longtemps ignorer la question, considérer que la question ne se posait pas, qu’il n’y avait aucun problème dans cette absence, cette absence des femmes dans le sport ?
Alice Milliat est celle qui, tenant tête à Pierre de Coubertin qui n’avait ouvert les Jeux olympiques aux femmes que dans cinq sports : tennis, voile, croquet, équitation, patinage artistique, combattit pour que toutes les épreuves aient leur volet féminin ; créa, devant le refus du CIO, les Jeux mondiaux féminins, qui prenaient place eux aussi tous les quatre ans, et obtint enfin que les femmes puissent concourir en athlétisme aux Jeux olympiques de 1928.
Jusque là, les raisons les plus diverses avaient été données au refus d’accueillir des femmes dans les sports prétendus masculins : raisons esthétiques (ça ne leur allait pas) ; raisons sportives (ça n’était pas intéressant) ; raisons médicales (c’était trop dur pour elles, elles se blesseraient ou se feraient du mal) ; toutes les raisons avaient été données par les plus hautes sommités et personne n’avait rien eu à y redire.
C’est ça qui est passionnant, passionnant et effrayant avec l’histoire : la perception de toutes ces choses, tous ces comportements qui, a un moment donné, sont considérés comme évidents, naturels, allant de soi ; et qui, quelque temps après (ou éventuellement avant) sont vus et vécus comme des aberrations.
Ey puis il y a aussi ceci que, quand j’étudiais l’histoire, l’histoire des années 1920, on me parlait du Cartel des Gauches, de la Marche sur Rome, de l’occupation de la Ruhr, de Charles Lindbergh traversant l’océan, de la grande crise d’octobre mais jamais, dans mon souvenir, de cette femme et de son combat. De la lutte des femmes pour conquérir le droit, le simple droit de concourir, elles aussi, aux Jeux olympiques, on ne m’en avait jamais parlé ; c’était l’angle mort de l’histoire.
Et jamais je ne m’y étais intéressé.