J’ai longtemps lu (jusqu’à hier) Tintin au Tibet comme un album d’aventures prenant place au pays du Dalaï Lama, tirant profit de ses paysages grandioses et mettant en scène le bouddhisme et ses moines comme un décor, un élément de contexte. Le bouddhisme de Tintin au Tibet, il se résumait pour moi à l’image de Foudre bénie lévitant au dessus du sol et à cette page très drôle dans laquelle, voulant faire bien mais ignorant le titre qu’il faut lui donner, le capitaine Haddock s’adresse au « Grand précieux », le chef spirituel du monastère, sous des noms divers et plus saugrenus les uns que les autres.
C’est au retour d’une semaine passée à Hauteville que je prends enfin conscience de la façon beaucoup plus profonde, beaucoup plus totale, dont cet album est imprégné, sinon par le bouddhisme, du moins par une philosophie de l’action et de l’être qui lui en est très proche.
Du début jusqu’à la fin, le personnage de Tintin incarne, dans ce livre, l’être bienveillant, unifié, attentif, vigilant, qui sait ouvrir son cœur, l’entendre, le suivre, prendre des décisions claires et franches, et agir en conséquence, sans ambages et de façon juste parce que guidé par l’amour :
“Capitaine, je suis persuadé que Tchang est vivant. C’est peut-être stupide, mais c’est ainsi… Et comme je le crois vivant, je pars à sa recherche.”
Tintin n’est pas seulement, dans cet album, le jeune homme sympathique dont on avait fait la connaissance dans les autres épisodes. Il garde ici toutes ses qualités : finesse, intelligence, courage, honnêteté, gentillesse, humilité, mais elles sont comme sublimées par la parfaite équanimité dont il fait preuve qui lui permet d’accueillir sans colère toutes les décisions contraires à son entreprise, sachant instantanément s’y adapter :
“Oui, ce que dit Tharkey est juste. C’est vrai : je n’ai pas le droit de risquer ainsi plusieurs vies… Je partirai donc seul.”
Face à Tintin, le capitaine Haddock illustre l’homme normal, notre alter ego, l’individu divisé, soumis aux tentations et qui les subit, inattentif et maladroit, disant l’un et faisant l’autre. Mais si le Capitaine dit non, non et toujours non, il finit toujours cependant aussi par faire oui, démentant, par son action positive, les mots qui sortent de sa bouche. Il surmonte ainsi, dans ses actes, le refus que portent ses paroles et c’est pourquoi il est, au bout du compte, désigné :
“Et toi aussi, Tonnerre Grondant, sois béni car, malgré tout, tu as eu la foi qui transporte les montagnes.“
Tchang est lui aussi élu. Non pour son action propre du moment mais parce qu’il su inspirer le dévouement et que cette capacité à inspirer les autres est conçue en soi comme une preuve d’élection. Mais on a appris, au début de l’album, que Tchang était un « coeur d’or », cela est confirmé, à la fin, par les propos qu’il tient sur le yéti, et il y a donc une convergence totale entre les diverses facettes du personnage qui reçoit parce qu’il a su donner.
Tintin au Tibet a toujours été mon album préféré. Je crois en avoir enfin découvert la raison. Elle n’est pas sans lien avec la sensibilité d’Hergé qui, recevant, à la fin des années 1970, son neveu chez lui lui conseillait de lire Les chemins de la sagesse, d’Arnaud Desjardins.
PS : A partir du 8 février 2016, France Culture diffusera en feuilletons l’enregistrement, réalisé avec la Comédie française et l’Orchestre national de France, de cinq albums de Tintin : du 8 au 12 février, ce seront Les cigares du pharaon.
http://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/les-cigares-du-pharaon-15-les-aventures-de-tintin
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