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“Ce que le courage du pêcheur doit au rocher battu par la mer”


Dans La nature, qu’il publie en 1836, Ralph Waldo Emerson proclame la sympathie, les résonnances, les correspondances – le lien profond unissant l’homme à la nature, qui fait qu’il se retrouve en elle et qu’il se perçoit, en son plus intime, comme une partie d’elle.

Le texte commence comme un poème, comme une ode à la jouissance d’être en communion avec la Création :

“Dans les bois, nous revenons à la raison et à la foi. Là, je sens que rien ne peut m’arriver dans la vie, ni disgrâce, ni calamité (mes yeux m’étant laissés) que la nature ne puisse réparer. Debout sur le sol nu, la tête baignée par l’air joyeux et soulevée dans l’espace infini, tous nos petits égoïsmes s’évanouissent. Je deviens une pupille transparente ; je ne suis rien, je vois tout ; les courants de l’Être universel circulent à travers moi ; je suis une partie ou une parcelle de Dieu.

À chaque instant, comme dans les Correspondances, de Charles Baudelaire, le monde nous fait signe, nous entoure et nous rassure de sa familiarité; nous sommes avec lui à tu et à toi :

“Le plus grand plaisir que procurent les champs et les bois est la secrète relation qu’ils suggèrent entre l’homme et les végétaux. Je ne suis pas seul et inconnu. Ils me font signe, et moi de même. Le balancement des branches dans la tempête est nouveau pour moi et ancien. Cela me prend par surprise et pourtant ne m’est pas inconnu.”

Cette perception de l’unité du monde, ce sentiment océanique dont parlaient Romain Rolland et Sigmund Freud, se traduit par l’amour de la beauté, d’une beauté qui ne peut être captée que par accident, dans un esprit d’insouciance, d’innocence :

“Les prestiges du jour, la rosée du matin, l’arc-en-ciel, les montagnes, les vergers en fleurs, les étoiles, les clairs de lune, les reflets sur une eau calme et toutes choses semblables, si elles sont trop ardemment pourchassées, deviennent de simples spectacles et se jouent de nous par leur irréalité. Quittez votre maison pour aller voir la lune et ce n’est que clinquant ; elle n’aura pas l’agrément qu’elle offre lorsque sa lumière brille sur un voyage commandé par la nécessité.”

Et d’un autre côté pourtant, c’est mêlée à l’humain que la beauté trouve son expression la plus haute, parce que – on croirait lire François Cheng – “la présence d’un élément plus spirituel est, à proprement parler, essentielle à la perfection de la beauté“, ou encore : “La beauté est la marque que Dieu appose sur la vertu.”

La beauté du monde, qui est une expression de l’univers, qui est “le héraut de la bonté intérieur et éternel”, est aussi un guide, une école : “Toutes les choses auxquelles nous avons affaire nous prêchent.”

“On ne peut douter que ce sentiment moral qui parfume ainsi les airs, qui croît avec la plante et qui imprègne l’ensemble des eaux du monde, ne soit saisi par l’homme et ne s’absorbe profondément en son âme. L’influence morale de la nature sur chaque individu est cette profusion de vérités qu’elle illustre pour lui.

Qui en dira jamais tout le prix ? Qui saura deviner ce que le courage du pêcheur doit au rocher battu par la mer, combien la paix intérieure de l’homme s’inspire du ciel azuré, dans les profondeurs immaculées duquel les vents pourchassent sans relâche les noirs troupeaux des nuées d’orage, le laissant sans ride ni tache, ou jusqu’à quel point nous avons emprunté notre industrie, notre prévoyance et nos affections à la contemplation des bêtes sauvages ?”.

Nous ne sommes pas fils de la nature ; nous en sommes frères :

“Le monde procède du même esprit que le corps de l’homme. C’est une incarnation de Dieu plus ancienne et inférieure, une projection de Dieu dans le non-conscient. Mais il diffère du corps en un point important. Il n’est pas, comme ce dernier, assujetti à la volonté humaine. Son ordre serein nous demeure inviolable. Par conséquent, il est pour nous le commentaire actuel de l’esprit divin. C’est un point fixe grâce auquel nous pouvons mesurer le chemin parcouru.”.

Le chemin parcouru ! Il s’agit bien de cela ! c’est de la Chute, en fait, qu’il s’agit, de la ruine du Tao, et de notre incapacité croissante à nous sentir chez nous dans le monde :

“A mesure que nous dégénérons, le contraste entre nous et notre demeure se fait plus évident. Nous sommes aussi extérieurs à la nature que nous sommes étrangers à Dieu. Nous ne comprenons pas le chant des oiseaux. Le renard et le daim s’enfuient à notre vue ; l’ours et le tigre nous mettent en pièces.”

Ce divorce avec la nature est un divorce avec nous-mêmes :

“La raison pour laquelle le monde manque d’unité et gît brisé et en morceaux, c’est que l’homme est séparé d’avec lui-même. Il ne peut pas étudier la nature tant qu’il ne satisfait pas à toutes les exigences de l’esprit. L’amour lui est tout aussi nécessaire que la faculté de percevoir. En fait, aucun de deux ne peut atteindre la perfection sans l’autre”.



Le texte lu est extrait du chapitre 5 : Discipline. En voici la version originale :

This ethical character so penetrates the bone and marrow of nature, as to seem the end for which it was made. Whatever private purpose is answered by any member or part, this is its public and universal function, and is never omitted. Nothing in nature is exhausted in its first use. When a thing has served an end to the uttermost, it is wholly new for an ulterior service. In God, every end is converted into a new means. Thus the use of commodity, regarded by itself, is mean and squalid. But it is to the mind an education in the doctrine of Use, namely, that a thing is good only so far as it serves; that a conspiring of parts and efforts to the production of an end, is essential to any being. The first and gross manifestation of this truth, is our inevitable and hated training in values and wants, in corn and meat.

It has already been illustrated, that every natural process is a version of a moral sentence. The moral law lies at the centre of nature and radiates to the circumference. It is the pith and marrow of every substance, every relation, and every process. All things with which we deal, preach to us. What is a farm but a mute gospel? The chaff and the wheat, weeds and plants, blight, rain, insects, sun, — it is a sacred emblem from the first furrow of spring to the last stack which the snow of winter overtakes in the fields. But the sailor, the shepherd, the miner, the merchant, in their several resorts, have each an experience precisely parallel, and leading to the same conclusion: because all organizations are radically alike. Nor can it be doubted that this moral sentiment which thus scents the air, grows in the grain, and impregnates the waters of the world, is caught by man and sinks into his soul. The moral influence of nature upon every individual is that amount of truth which it illustrates to him. Who can estimate this? Who can guess how much firmness the sea-beaten rock has taught the fisherman? how much tranquillity has been reflected to man from the azure sky, over whose unspotted deeps the winds forevermore drive flocks of stormy clouds, and leave no wrinkle or stain? how much industry and providence and affection we have caught from the pantomime of brutes? What a searching preacher of self-command is the varying phenomenon of Health!

Herein is especially apprehended the unity of Nature, — the unity in variety, — which meets us everywhere. All the endless variety of things make an identical impression. Xenophanes complained in his old age, that, look where he would, all things hastened back to Unity. He was weary of seeing the same entity in the tedious variety of forms. The fable of Proteus has a cordial truth. A leaf, a drop, a crystal, a moment of time is related to the whole, and partakes of the perfection of the whole. Each particle is a microcosm, and faithfully renders the likeness of the world.

Not only resemblances exist in things whose analogy is obvious, as when we detect the type of the human hand in the flipper of the fossil saurus, but also in objects wherein there is great superficial unlikeness. Thus architecture is called “frozen music,” by De Stael and Goethe. Vitruvius thought an architect should be a musician. “A Gothic church,” said Coleridge, “is a petrified religion.” Michael Angelo maintained, that, to an architect, a knowledge of anatomy is essential. In Haydn’s oratorios, the notes present to the imagination not only motions, as, of the snake, the stag, and the elephant, but colors also; as the green grass. The law of harmonic sounds reappears in the harmonic colors. The granite is differenced in its laws only by the more or less of heat, from the river that wears it away. The river, as it flows, resembles the air that flows over it; the air resembles the light which traverses it with more subtile currents; the light resembles the heat which rides with it through Space. Each creature is only a modification of the other; the likeness in them is more than the difference, and their radical law is one and the same. A rule of one art, or a law of one organization, holds true throughout nature. So intimate is this Unity, that, it is easily seen, it lies under the undermost garment of nature, and betrays its source in Universal Spirit. For, it pervades Thought also. Every universal truth which we express in words, implies or supposes every other truth. Omne verum vero consonat. It is like a great circle on a sphere, comprising all possible circles; which, however, may be drawn, and comprise it, in like manner. Every such truth is the absolute Ens seen from one side. But it has innumerable sides.

The central Unity is still more conspicuous in actions. Words are finite organs of the infinite mind. They cannot cover the dimensions of what is in truth. They break, chop, and impoverish it. An action is the perfection and publication of thought. A right action seems to fill the eye, and to be related to all nature. “The wise man, in doing one thing, does all; or, in the one thing he does rightly, he sees the likeness of all which is done rightly.”


Les queues de lapin illustrant ce papier sont porquerollaises. Je les ai photographiées un matin d’août 2018 dans la plaine Notre-Dame.


Les extraits en français sont tirés de la belle traduction de Patrice Oliete Loscos publiée aux éditions Allia.

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Porte des étoiles


Dans sa troisième Méditation sur la beauté, dont je lis un passage, François Cheng écrit :

“une beauté authentiquement incarnée n’est jamais beauté d’une simple figure isolée. Elle est transfiguration par la grâce de la rencontre d’une lumière intérieure et d’une autre lumière donnée là depuis toujours, mais tant de fois obscurcie. Transfiguration est à entendre ici comme ce qui se transforme de l’intérieur, et également comme ce qui transparaît dans l’espace de vie entre le fini et l’infini, entre le visible et l’invisible.”

François Cheng essaie d’expliquer ce phénomène, cet étrange pouvoir de la beauté qui tout à la fois donne accès à l’être qui en est le porteur et au monde. Et dans cette quête, il retient d’Augustin l’idée que “la beauté résulte de la rencontre de l’intériorité d’un être et de la splendeur du cosmos.“. Non pas seulement que la beauté d’un être serait un reflet de la beauté du monde mais parce que la beauté et le regard ouvriraient sur l’au-delà du monde, sur ce qui, en le monde, lui échappe.

Ainsi pour la Joconde. François Cheng reprend une analyse de France Quéré qui voit dans le paysage qui entoure Mona Lisa un écho de son paysage intérieur, et dans l’énigme de son sourire un reflet de l’étonnement, du vertige qui surgit de notre confrontation au monde. Les yeux de Mona Lisa spiritualisent le monde ou plutôt sa beauté est cette spiritualisation du monde elle-même.

“Son sourire et son regard sont alors le signe d’une intuitive prise de conscience, celle d’un don qui vient de très loin. “

Une porte des étoiles. C’est ainsi que depuis toujours je me plonge dans les yeux pleins d’étoiles de celle que j’aime, qui m’ouvre à la profondeur et à la beauté du monde.



Le texte complet de ma lecture maintenant, qui a notamment pour sujet la Joconde :

“A la lumière de l’âme, il nous est bon de revenir un moment à Mona Lisa, à son regard et à son sourire. Il y a véritablement un mystère du regard. D’où vient la beauté d’un regard ? Tient-elle du seul aspect physique des yeux : paupières, cils, teinte de l’iris, etc. ? La beauté physique des yeux peut certainement y contribuer, dans la mesure où cette beauté est susceptible d’éveiller chez l’être qui en a été gratifié le sens de la beauté. Or, nous l’avons dit,  la vraie beauté est justement conscience de la beauté et élan vers la beauté. Mais à cause de cela même, le regard est plus que les yeux. Toutes les langues n’émettent-elles pas l’idée que les yeux sont “la fenêtre de l’âme” ? La beauté du regard vient d’une lumière qui sourd de la profondeur de l’Être ? Elle peut aussi venir d’une lumière venant de l’extérieur et qui l’éclaire, notamment lorsque le regard capte dans l’instant quelque chose de beau, ou qu’il rencontre un autre regard d’amour et de beauté.

Chacun a déjà vécu ce moment émouvant  où, lors d’un spectacle ou d’un concert de haute qualité, tous les participants ont le visage transfiguré, tant il est vrai que la beauté attire la beauté, augmente la beauté, élève la beauté. Cela est conforme à ce que nous lisions encore chez saint Augustin : la beauté résulte à ses yeux de la rencontre de l’intériorité d’un être et de la splendeur du cosmos, laquelle, pour lui, est le signe de la gloire de Dieu. Cette rencontre supprime, en quelque sorte, la séparation de l’intérieur et de l’extérieur.

Si la beauté du monde forme un paysage, l’âme d’un être est elle aussi paysage, ce que Verlaine exprime par le vers : “Votre âme est un paysage choisi…” et que l’esthétique chinoise désigne par le terme “sentiment-paysage”. Le paysage de l’âme est fit de nostalgies et de rêves, de frayeurs et d’aspirations, de scènes vécues et de scènes pressenties.

Tournons alors notre regard, pour la troisième fois, vers la Joconde. N’y aurait-il pas une clé pour ouvrir l’énigme de son regard ? Ne serait-ce point ce paysage brumeux tout à la fois lointain et proche qui se profile derrière elle ? Ici écoutons France Quéré qui, dans Le Sel et le Vent, écrit :

“Dans des formes de rocs et de lacs éclate l’étrange sonde d’un monde intérieur […] A hauteur des épaules [de Mona Lisa], commence un ocre paysage au relief accidenté que parcourent des efflorescences de rochers. A gauche, le sentier débouche sur les eaux grises d’un la, striées par les ombres de rochers en surplomb. Ce sont des chevauchements de pierres, de crinières, de farouches encolures, des museaux difformes qui dressent au dessus de l’onde le sursaut de leur colère pétrifiée. Une violence préhistorique barre le regard… A droite, du côté où se lèvent les lèvres de la jeune femme, le sentier remonte le cours limoneux de la rivière, se faufile de gradin en gradin, parmi les éboulis de pierres, parvient enfin au rebord d’un second lac, élevé au-dessus du premier… C’est un autre monde, immatériel, immensément recueilli vers lequel le sourire et le mouvement des yeux subtilement nous fait signe. le lac d’altitude s’irise à peine de quelques lueurs. Mais les malédictions de l’ombre et de l’obstruction sont vaincues. D’autres rochers s’élèvent, ils n’enténèbrent ni ne ferment plus rien. Leur ombre dessine un cerne, suggère une transparence, laisse intact le miroir des eaux… Entre les deux rivages purifiés s’ouvre une brèche où l’eau et la lumière confondent leur or, et ensemble s’éloignent vers l’infini. Est-ce un dieu qui accueille l’homme voyageur ? Est-ce la joie d’une intelligence parvenue au faîte de sa méditation ? […] Est-ce l’enfance retrouvée, embellie par les lointains du souvenir ? [un rêve humain commence là, à hauteur des yeux et du front pur. Ses aubes sont plus belles encore que les collines de Florence aux premiers rayons du jour.”

Compte tenu de ce paysage originel qui la porte, un paysage qui contient déjà la promesse de la beauté, la Joconde nous apparaît non plus comme le simple portrait d’une femme socialement située, mais comme la miraculeuse manifestation de cette beauté virtuelle que promet l’univers dès son origine. Son sourire et son regard sont alors le signe d’une intuitive prise de conscience, celle d’un don qui vient de très loin. Ils nous signifient surtout qu’une beauté authentiquement incarnée n’est jamais beauté d’une simple figure isolée. Elle est transfiguration par la grâce de la rencontre d’une lumière intérieure et d’une autre lumière donnée là depuis toujours, mais tant de fois obscurcie. Transfiguration est à entendre ici comme ce qui se transforme de l’intérieur, et également comme ce qui transparaît dans l’espace de vie entre le fini et l’infini, entre le visible et l’invisible.”


En introduction et conclusion musicales, Pavane pour une infante défunte, de Maurice Ravel.

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Regarder et manger

 

 

La grande douleur de la vie humaine, c’est que regarder et manger soient deux opérations différentes.

observe Simone Weil dans le passage que je lis, qui est consacré à la beauté, et qui est extrait du petit texte intitulé “Formes de l’Amour implicite de Dieu“.

On sait que la beauté est contenue dans le spectacle qu’elle donne ; on sait que la fleur s’épanouit dans les champs et les buissons ; que les oiseaux sont faits pour traverser les airs et que c’est leur liberté qu’on aime dans les êtres qu’on aime.

Et pourtant, nous cueillons les fleurs, mettons les oiseaux en cage et souhaitons nous enchaîner les êtres que l’on aime. Nous aimons mais notre amour est cannibale et tend toujours à vouloir absorber, manger, contrôler, confondre avec nous ce que nous aimons pour sa différence.

Nous savons que la beauté est faite pour être vue mais nous voulons plus d’elle. Tellement plus ! Non seulement par méchanceté, cruauté ou volonté de puissance, non seulement par don-juanisme, avidité ou envie mais parce que la voir ne nous suffit pas, ne nous comble pas mais révèle et réveille, au contraire, ce creux au creux de nous qui jusqu’alors restait tranquille mais qui, à sa vue, se fait sentir et palpite.

La beauté et l’éclat des êtres que nous aimons tracent un chemin. Ils dévoilent un au-delà dont la possession des choses et des corps paraît nous ouvrir la porte. C’est pourquoi nous voulons avoir et posséder, pour accéder à la clé du mystère, dans l’espoir que cette révélation apaise et referme la déchirure que l’amour a créée.

La beauté ne suffit pas. L’amour ne suffit pas. Ils appellent.

La beauté est la seule finalité ici-bas. Comme Kant a très bien dit, c’est une finalité qui ne contient aucune fin. Une chose belle ne contient aucun bien, sinon elle-même, dans sa totalité, telle qu’elle nous apparaît. Nous allons vers elle sans savoir quoi lui demander. Elle nous offre sa propre existence. Nous ne désirons pas autre chose, nous possédons cela, et pourtant nous désirons encore. Nous ignorons tout à fait quoi. Nous voudrions aller derrière la beauté, mais elle n’est que surface. Elle est comme un miroir qui nous renvoie notre propre désir du bien. Elle est un sphinx, une énigme, un mystère douloureusement irritant. Nous voudrions nous en nourrir, mais elle n’est qu’objet de regard, elle n’apparaît qu’à une certaine distance. La grande douleur de la vie humaine, c’est que regarder et manger soient deux opérations différentes. De l’autre côté du ciel seulement, dans le pays habité par Dieu, c’est une seule et même opération. Déjà les enfants, quand ils regardent longtemps un gâteau et le prennent presque à regret pour le manger, sans pouvoir pourtant s’en empêcher, éprouvent cette douleur. Peut-être les vices, les dépravations et les crimes sont-ils presque toujours ou même toujours dans leur essence des tentatives pour manger la beauté, manger ce qu’il faut seulement regarder. Ève avait commencé. Si elle a perdu l’humanité en mangeant un fruit, l’attitude inverse, regarder un fruit sans le manger, doit être ce qui sauve. « Deux compagnons ailés, dit une Upanishad, deux oiseaux sont sur une branche d’arbre. L’un mange les fruits, l’autre les regarde. »  Ces deux oiseaux sont les deux parties de notre âme.”


Puisque Katia l’avait évoqué, “Pour faire le portrait d’un oiseau“, de Jacques Prévert, lu par Serge Reggiani