spirale

Le désir et la nécessité


Dans le chapitre II de La République, dont je lis ici un extrait, Socrate, cherchant à savoir d’où vient l’injustice, raconte la naissance de la cité, l’histoire de ces hommes qui s’assemblent et se répartissent le travail pour mieux répondre à leurs besoins. Puis Glaucon étant intervenu pour remarquer que cette cité, fondée sur la nécessité, n’était guère plaisante, Socrate reprend son modèle et y ajoute les arts, le luxe, les loisirs, tout en notant que, dans cette recherche des biens allant au-delà des besoins, la ville perd sa simplicité, sa santé, et trouve probablement la cause de sa chute dans la guerre et l’injustice.

Il a raison, Socrate : la recherche du superflu, la poursuite du désir, est la cause de bien des maux, et peut-être de tous. Et pourtant, vouloir que l’homme se limite à ses besoins, c’est nier son humanité.

C’est toujours cette histoire de la fuite hors du Jardin d’Eden, qu’on trouve aussi  dans les mythes d’Epiméthée et de Prométhée, dans la Genèse judéo-chrétienne et, en Orient, dans l’Oeuvre complète, de Tchouang-Tseu : l’idée qu’à l’instant même où, prenant conscience de lui-même, l’homme se sépare du reste de la Création, il s’ouvre à la fois à l’élévation et à la chute, à la lumière et aux ténèbres. Or cette conscience et cette séparation naissent du désir, de la tentation – ils sont ce désir-même et cette tentation : c’est parce que l’homme désire qu’il chute et, ayant chuté, il se retrouve désirant, toujours en quête d’autre chose, toujours insatisfait.

Le désir, c’est fondamentalement le fait de ne pas se contenter de ce qui est nécessaire, de vouloir autre chose que ce dont on a strictement besoin.  Vouloir plus, vouloir mieux – et cela dans tous les domaines, dans toutes les dimensions. Socrate parle à ce propos du luxe et des courtisanes, de la cuisine et des bijoux, mais il évoque aussi l’art et la musique, auxquels on pourrait ajouter la philosophie et la religion. Car la recherche de la vérité et du beau, l’appel du transcendant et du spirituel expriment tout autant, et sans doute plus, une aspiration à autre chose qu’un simple contentement de l’être.

Nés du désir, nous sommes des êtres désirants. C’est ce désir ancré en nous qui nous pousse à l’envie et à l’avidité, qui fait de nous des prédateurs et des êtres sauvages, qui nous rend agressifs et jaloux, et possessifs et égoïstes. Mais c’est ce désir aussi qui tourne nos yeux vers le ciel et les étoiles, qui fait de nous des hommes, des êtres aspirant à un au-delà de nous mêmes.

Il y a, dans le stoïcisme, dans certaines sagesses orientales, dans certaines façons, augustiniennes ou platoniciennes peut-être, de lire les Evangiles, un rejet absolu du désir considéré comme l’essence du mal. Et qui suit ces conceptions doit nier ses désirs, les refouler, les sublimer, s’interdire d’en avoir – quitte (mais ça n’est pas du jeu), à les rebaptiser quand ils sont là : “je dois, vois-tu, aller parmi les rennes sous le soleil de minuit ; cela m’est nécessaire.”.

On retrouve cette conception dans une frange de l’écologie qui, considérant à très juste titre que l’homme moderne est aliéné par ces mille objets de désir qu’il a transformés en besoins, et qu’il traîne comme des boulets pesants et polluants, plaide pour une sobriété qui se réduirait au nécessaire, quelque chose comme un monde un peu gris ou l’homme ne déparerait pas, une sorte de monastère qui, de François d’Assise, n’aurait retenu que la bure couleur de terre.

Mais l’homme ne peut pas ne pas déparer. Et la sobriété, ce n’est pas cela. La sobriété ne consiste pas à ne pas désirer, à ne pas vouloir plus que le strict nécessaire. La sobriété, cela consiste à gérer son désir, à le canaliser, en bonne ménagère.

Gérer le monde. Non pas s’en servir ou s’y servir comme on le ferait d’une proie mais le cultiver avec soin et respect, le jardiner avec amour, y planter nos œuvres et nos désirs et les faire fructifier. Embellir et enrichir ce monde qui est le nôtre, en le traitant non comme on le ferait d’un étranger mais comme on le fait de nous-même, comme on devrait le faire de nous-même, parce qu’il est nous-même.

Ce monde est fondé sur la nécessité ; nous sommes quant à nous des êtres de désir. La sobriété consiste à concilier les deux, non à nier l’un au profit de l’autre. Là est notre chemin.

 


En illustration, une spirale de galets blancs façonnée cet été sur une plage de Porquerolles et qui, dans la beauté de ce sable sur lequel le soleil se couchait, répondait au désir de créer, d’élever une petite oeuvre qui, dans la nuit, serait détruite par la mer mais qui, un moment, aurait embelli l’univers.

En introduction et conclusion musicale, More of the good, de Lisa Ekdahl, qui dit bien l’être désirant que nous sommes.


Le passage lu, extrait du chapitre II de La République :(traduction de Robert Baccou)

Ce qui donne naissance à une cité, repris-je, c’est, je crois, l’impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même, et le besoin qu’il éprouve d’une foule de choses ; ou bien penses-tu qu’il y ait quelque autre cause à l’origine d’une cité?

Aucune, répondit-il.

Ainsi donc, un homme prend avec lui un autre homme pour tel emploi, un autre encore pour tel autre emploi, et la multiplicité des besoins assemble en une même résidence un grand nombre d’associés et d’auxiliaires ; à cet établissement commun nous avons donné le nom de cité, n’est-ce pas ?

Parfaitement.

Mais quand un homme donne et reçoit, il agit dans la pensée que l’échange se fait à son avantage.

Sans doute.

Eh bien donc ! repris-je, jetons par la pensée les fondements d’une cité ; ces fondements seront, apparemment, nos besoins.

Sans contredit.

Le premier et le plus important de tous est celui de la nourriture, d’où dépend la conservation de notre être et de notre vie.

Assurément.

Le second est celui du logement ; le troisième celui du vêtement et de tout ce qui s’y rapporte.

C’est cela.

Mais voyons ! dis-je, comment une cité suffira-t-elle à fournir tant de choses ? Ne faudra-t-il pas que l’un soit agriculteur, l’autre maçon, l’autre tisserand ? Ajouterons-nous encore un cordonnier ou quelque autre artisan pour les besoins du corps ?

Certainement.

Donc, dans sa plus stricte nécessité, la cité sera composée de quatre ou cinq hommes. 

Il le semble.

Mais quoi? faut-il que chacun remplisse sa propre fonction pour toute la communauté, que l’agriculteur, par exemple, assure à lui seul la nourriture de quatre, dépense à faire provision de blé quatre fois plus de temps et de peine, et partage avec les autres, ou bien, ne s’occupant que de lui seul, faut-il qu’il produise le quart de cette nourriture dans le quart de temps, des trois autres quarts emploie l’un à se pourvoir d’habitation, l’autre de vêtements, l’autre de chaussures, et, sans se donner du tracas pour la communauté, fasse lui-même ses propres affaires ?

Adimante répondit : Peut-être, Socrate, la première manière serait-elle plus commode.

Par Zeus, repris-je, ce n’est point étonnant. Tes paroles, en effet, me suggèrent cette réflexion que, tout d’abord, la nature n’a pas fait chacun de nous semblable à chacun, mais différent d’aptitudes, et propre à telle ou telle fonction. Ne le penses-tu pas ?

Si.

Mais quoi ? dans quel cas travaille-t-on mieux, quand on exerce plusieurs métiers ou un seul ?

Quand, dit-il, on n’en exerce qu’un seul.

Il est encore évident, ce me semble, que, si on laisse passer l’occasion de faire une chose, cette chose est manquée.

C’est évident, en effet.

Car l’ouvrage, je pense, n’attend pas le loisir de l’ouvrier, mais c’est l’ouvrier qui, nécessairement, doit régler son temps sur l’ouvrage au lieu de le remettre à ses momentsperdus.

Nécessairement.

Par conséquent on produit toutes choses en plus grand nombre, mieux et plus facilement, lorsque chacun, selon ses aptitudes et dans le temps convenable, se livre à un seul travail, étant dispensé de tous les autres.

Très certainement.

Il faut donc, Adimante, plus de quatre citoyens pour satisfaire aux besoins dont nous avons parlé. En effet, il est vraisemblable que le laboureur ne fera pas lui-même sa charrue, s’il veut qu’elle soit bonne, ni sa bêche, ni les autres outils agricoles ; le maçon non plus ne fera pas ses outils ; or, il lui en faut beaucoup à lui aussi. Il en sera de même pour le tisserand et le cordonnier, n’est-ce pas ?

C’est vrai.

Voilà donc des charpentiers, des forgerons et beaucoup d’ouvriers semblables qui, devenus membres de notre petite cité, augmenteront sa population.

Certainement.

Mais elle ne serait pas encore très grande si nous y ajoutions bouviers, bergers et autres sortes de pasteurs, afin que l’agriculteur ait des boeufs pour le labourage, le maçon, aussi bien que l’agriculteur, des bêtes de somme pour les charrois, le tisserand et le cordonnier des peaux et des laines.

Ce ne serait pas, non plus, dit-il, une petite cité si elle réunissait toutes ces personnes.

Mais, repris-je, fonder cette ville dans un endroit où l’on n’aurait besoin de rien importer est chose presque impossible.

C’est impossible en effet.

Elle aura donc besoin d’autres personnes encore, qui, d’une autre cité, lui apporteront ce qui lui manque.

Elle en aura besoin.

Mais si ces personnes s’en vont les mains vides, ne portant rien de ce dont les fournisseurs ont besoin, elles repartiront aussi les mains vides, n’est-ce pas ?

Il me le semble.

Il faut donc que notre cité produise non seulement ce qui lui suffit à elle-même, mais encore ce qui, en telle quantité, lui est demandé par ses fournisseurs. Il le faut, en effet.

Par suite, elle aura besoin d’un plus grand nombre de laboureurs et d’autres artisans.

Certes.

Et aussi d’agents qui se chargent de l’importation et de l’exportation des diverses marchandises. Or, ceux-ci sont des commerçants, n’est-ce pas ?

Oui.

Nous aurons donc besoin aussi de commerçants.

Assurément.

Et si le commerce se fait par mer, il nous faudra encore une multitude de gens versés dans la navigation.

Oui, une multitude.

Mais quoi ? dans la cité même, comment les hommes échangeront-ils les produits de leur travail ? C’est en effet pour cela que nous les avons associés en fondant une cité.

Il est évident, dit-il, que ce sera par vente et par achat.

D’où nécessité d’avoir une agora et de la monnaie, symbole de la valeur des objets échangés.

Certainement.

Mais si le laboureur ou quelque autre artisan, apportant sur l’agora l’un de ses produits, n’y vient pas dans le même temps que ceux qui veulent faire des échanges avec lui, il ne laissera pas son travail interrompu pour rester assis sur l’agora.

Point du tout, répondit-il ; il y a des gens qui, voyant cela, se chargent de ce service ; dans les cités bien organisées ce sont ordinairement les personnes les plus faibles de santé, incapables de tout autre travail. Leur rôle est de rester sur l’agora, d’acheter contre de l’argent à ceux qui désirent vendre, et de vendre, contre de l’argent aussi, à ceux qui désirent acheter.

Donc, repris-je, ce besoin donnera naissance à la classe des marchands dans notre cité ; nous appelons, n’est-ce pas ? de ce nom ceux qui se consacrent à l’achat et à la vente, établis à demeure sur l’agora, et négociants ceux qui voyagent de ville en ville.

Parfaitement.

Il y a encore, je pense, d’autres gens qui rendent service : ceux qui, peu dignes par leur esprit de faire partie de la communauté, sont, par leur vigueur corporelle, aptes aux gros travaux ; ils vendent l’emploi de leur force, et, comme ils appellent salaire le prix de leur peine, on leur donne le nom de salariés, n’est-ce pas ?

Parfaitement.

Ces salariés constituent, ce semble, le complément de la cité.

C’est mon avis.

Eh bien ! Adimante, notre cité n’a-t-elle pas reçu assez d’accroissements pour être parfaite ?

Peut-être.

Alors, où y trouverons-nous la justice et l’injustice ? Avec lequel des éléments que nous avons examinés ont-elles pris naissance ? 

Pour moi, répondit-il, je ne le vois pas, Socrate, à moins que ce ne soit dans les relations mutuelles des citoyens.

Peut-être, dis-je, as-tu raison ; mais il faut l’examiner sans nous rebuter.

Considérons d’abord de quelle manière vont vivre des gens ainsi organisés. Ne produiront-ils pas du blé, du vin, des vêtements, des chaussures? ne se bâtiront-ils pas des maisons? Pendant l’été ils travailleront la plupart du temps nus et sans chaussures, pendant l’hiver vêtus et chaussés convenablement. Pour se nourrir, ils prépareront des farines d’orge et de froment, cuisant celles-ci, se contentant de pétrir celles-là ; ils disposeront leurs nobles galettes et leurs pains sur des rameaux ou des feuilles fraîches, et, couchés sur des lits de feuillage, faits de couleuvrée et de myrte, ils se régaleront eux et leurs enfants, buvant du vin, la tête couronnée de fleurs, et chantant les louanges des dieux ; ils passeront ainsi agréablement leur vie ensemble, et régleront le nombre de leurs enfants sur leurs ressources, dans la crainte de la pauvreté ou de la guerre.

Alors Glaucon intervint : C’est avec du pain sec, ce semble, que tu fais banqueter ces hommes-là.

Tu dis vrai, repris-je. J’avais oublié les mets ; ils auront du sel évidemment, des olives, du fromage, des oignons, et ces légumes cuits que l’on prépare à la campagne. Pour dessert nous leur servirons même des figues, des pois et des fèves ; ils feront griller sous la cendre des baies de myrte et des glands, qu’ils mangeront en buvant modérément. Ainsi, vivant dans la paix et la santé, ils mourront vieux, comme il est naturel, et légueront à leurs enfants une vie semblable à la leur.

Et lui : Si tu fondais une cité de pourceaux, Socrate, dit-il, les engraisserais-tu autrement ?

Mais alors, Glaucon, comment doivent-ils vivre ? demandai-je.

Comme on l’entend d’ordinaire, répondit-il ; il faut qu’ils se couchent sur des lits, je pense, s’ils veulent être à leur aise, qu’ils mangent sur des tables, et qu’on leur serve les mets et les desserts aujourd’hui connus. 

Soit, dis-je ; je comprends. Ce n’est plus seulement une cité en formation que nous examinons, mais aussi une cité pleine de luxe. Peut-être le procédé n’est-il pas mauvais ; il se pourrait, en effet, qu’une telle étude nous fît voir comment la justice et l’injustice naissent dans les cités. Quoi qu’il en soit, la véritable cité me paraît être celle que j’ai décrite comme saine ; maintenant, si vous le voulez, nous porterons nos regards sur une cité atteinte d’inflammation ; rien ne nous en empêche. Nos arrangements, en effet, ne suffiront pas à certains, non plus que notre régime : ils auront des lits, des tables, des meubles de toute sorte, des mets recherchés, des huiles aromatiques, des parfums à brûler, des courtisanes, des friandises, et tout cela en grande variété. Donc il ne faudra plus poser comme simplement nécessaires les choses dont nous avons d’abord parlé, maisons, vêtements et chaussures ; il faudra mettre en oeuvre la peinture et la broderie, se procurer de l’or, de l’ivoire et toutes les matières précieuses, n’est-ce pas ?

Oui, répondit-il.

Par conséquent nous devons agrandir la cité – car celle que nous avons dite saine n’est plus suffisante -et l’emplir d’une multitude de gens qui ne sont point dans les villes par nécessité, comme les chasseurs de toute espèce et les imitateurs, la foule de ceux qui imitent les formes et les couleurs, et la foule de ceux qui cultivent la musique : les poètes et leur cortège de rhapsodes, d’acteurs, de danseurs, d’entrepreneurs de théâtre ; les fabricants d’articles de toute sorte et spécialement de parures féminines. Il nous faudra aussi accroître le nombre des serviteurs ; ou bien crois-tu que nous n’aurons pas besoin de pédagogues, de nourrices, de gouvernantes, de femmes de chambre, de coiffeurs, et aussi de cuisiniers et de maîtres queux ? Et il nous faudra encore des porchers ! Tout cela ne se trouvait pas dans notre première cité – aussi bien n’en avait-on pas besoin – mais dans celle-ci ce sera indispensable. Et nous devrons y ajouter des bestiaux de toute espèce pour ceux qui voudront en manger, n’est-ce pas ?

Pourquoi non ?

Mais, en menant ce train de vie, les médecins nous seront bien plus nécessaires qu’auparavant.

Beaucoup plus.

Et le pays, qui jusqu’alors suffisait à nourrir ses habitants, deviendra trop petit et insuffisant. Qu’en dis-tu ?

Que c’est vrai, répondit-il.

Dès lors ne serons-nous pas forcés d’empiéter sur le territoire de nos voisins, si nous voulons avoir assez de pâturages et de labours? et eux, n’en useront-ils pas de même à notre égard si, franchissant les limites du nécessaire, ils se livrent comme nous à l’insatiable désir de posséder ?

Il y a grande nécessité, Socrate, dit-il.

Nous ferons donc la guerre après cela, Glaucon ? Ou qu’arrivera-t-il ?

Nous ferons la guerre.

Ce n’est pas encore le moment de dire, repris-je, si la guerre a de bons ou de mauvais effets ; notons seulement que nous avons trouvé l’origine de la guerre dans cette passion qui est, au plus haut point, génératrice de maux privés et publics dans les cités, quand elle y apparaît.

Parfaitement.

Nu couché à la toile de Jouy, de Léonard Foujita

Cet obscur objet du désir


Cet obscur objet du désir, de Luis Buñuel, raconte l’histoire de Mathieu – un grison, comme aurait dit Molière – qui poursuit de ses assiduités et de son désir Conchita, une jeune femme qui tantôt accueille avec grâce ses avances et tantôt les rejette et le fuit, ne se donnant cependant jamais à lui.

L’intrigue est directement tiré d’un livre de Pierre Louÿs, qui porte le titre explicite de La femme et le pantin. Et pourtant, dans le film aussi bien que dans le livre (dont je lis ici un passage), les choses ne sont pas si claires. Ce que rend mieux le titre choisi par Buñuel, qui souligne justement le caractère obscur du désir de Mathieu, et pointe l’étrangeté de son comportement.

Quel est l’objet du désir de Mathieu ? Que désire son désir ?

Le corps de Conchita, bien sûr. Et c’est parce qu’il ne peut l’avoir, parce qu’il ne peut la posséder dans son entièreté que son désir se perpétue, grandit et lui devient une sorte d’obsession, de folie douce. Mais le corps de Conchita n’est évidemment qu’un moyen, pas une fin, et c’est là précisément que les choses se brouillent : ce que veut Mathieu, c’est au fond Conchita,  Conchita elle-même et non pas seulement son corps ou ce que cache sa ceinture de chasteté. Et pourtant, c’est sur ce corps et sur cette partie précise de son corps que son attention se focalise, au point de lui faire oublier tout le reste, comme si tout le reste n’était rien auprès de cela. Conchita le lui fait d’ailleurs remarquer :

« Mon cœur, tu ne saurais donc aimer tout ce que je te donne de moi-même ? Tu as mes seins, tu as mes lèvres, mes jambes brûlantes, mes cheveux odorants, tout mon corps dans tes embrassements et ma langue dans mon baiser. Ce n’est donc pas assez tout cela ? Alors ce n’est pas moi que tu aimes, mais seulement ce que je te refuse ? Toutes les femmes peuvent le donner, pourquoi me le demandes-tu, à moi qui résiste ? Est-ce parce que tu me sais vierge ? Il y en a d’autres, même à Séville. Je te le jure, Mateo, j’en connais. ¡ Alma mia! sangre mio! aime-moi comme je veux être aimée, peu à peu, et prends patience. Tu sais que je suis à toi, et que je me garde pour toi seul. Que veux-tu de plus, mon cœur ? »

Ce que veut de plus Mathieu, c’est justement Conchita. Non certes pas le corps seulement de Conchita, non certes pas seulement cette partie de son corps qu’elle lui refuse, mais Conchita tout entière, dont l’entièreté n’est pas donnée tant qu’elle se refuse à lui, Conchita qu’il ne pourra considérer comme sienne que quand elle se sera donnée à lui. Donnée à lui volontairement, de son propre mouvement, comme la Belle à la Bête, car là est véritablement ce que désire Mathieu : que Conchita le désirant se donne à lui, que son désir  rencontre celui de Conchita, qu’objet de son désir, elle en devienne le sujet. Et le désir est ainsi fait qu’embrassant large et loin, voulant la femme et la beauté, la tendresse et l’amour, les étoiles et le ciel, il s’arrête pourtant à cette chair, à cette chair sans le don de laquelle rien ne paraît être donné, à cette chair dont seul l’abandon volontaire paraît pouvoir sceller les serments.

Et Conchita de son côté, aussi menteuse et malveillante qu’elle puisse paraître, aussi manipulatrice et hypocrite que semble son comportement, est peut-être elle aussi sincère. Car ce qu’elle reproche au fond à cet homme, qu’elle paraît manipuler et tourner en bourrique, c’est justement d’être manipulée par lui, d’être chosifiée, d’être traitée comme un objet, une poupée, un pantin :

” Non, je vous plais, je vous amuse ; mais je ne suis pas la seule, n’est-ce pas, caballero ? Les cheveux noirs poussent sur bien des filles, et bien des yeux passent dans les rues. Il n’en manque pas, à la Fabrique, d’aussi jolies que moi et qui se le laissent dire. Faites ce que vous voudrez avec elles, je vous donnerai des noms si vous en demandez. Mais moi, c’est moi, et il n’y a qu’une moi de San-Roque à Triana. Aussi je ne veux pas qu’on m’achète comme une poupée au bazar, parce que, moi enlevée, on ne me retrouverait plus. “

Ce que veut Conchita – elle y arrivera, d’ailleurs – c’est que Mathieu, qui l’a d’abord considérée comme une aventure sans conséquence, prenne la mesure des choses et devienne sérieux. Les épreuves qu’elle lui fait subir – et la mort qui, dans le film de Buñuel, rode à tous les coins de rues – sont là pour faire grandir et mûrir cet homme qui, en dépit de ses cheveux gris, est encore sentimentalement un enfant, un innocent :

“C’est bien cela. Tous les Espagnols le répètent ; on le sait à Paris et à Buenos-Ayres ; des enfants de douze ans à Madrid vous disent que les femmes dansent toutes nues dans le premier bal de Cadiz. Mais toi, tu veux me faire croire qu’on ne t’avait rien dit, toi qui n’es pas marié, toi qui as quarante ans !”

Mathieu et Conchita vont donc se faire et se défaire, se réunir et se quitter, dans une course sans fin. La tension érotique, constamment mise en branle et jamais assouvie, nourrit ce couple qui toujours se construit, se cherche et jamais ne tombe dans l’ennui. Qui, des deux, manipule et qui est le pantin ? On ne le saura jamais vraiment. On restera toujours dans l’ambiguïté, dans l’incertitude et le doute, comme on le reste dans la vraie vie, avec ce désir de possession qui nous étreint comme il domine tout le récit, et lui donne sa saveur aigre-douce et son parfum de conte de Rohmer : Mathieu veut posséder Conchita, mais s’il y a bien, dans cette histoire, un personnage qu’on puisse considérer comme possédé, c’est lui, Mathieu, que son désir rend fou et hante comme un esprit. Et non seulement le désir qu’a Mathieu de posséder Conchita le possède lui-même mais il permet à Conchita de se moquer de lui, de se jouer de lui, de le posséder dans une autre acception du terme, dans un jeu de miroir qui est une sorte de réponse par avance au désir qu’il a de la posséder – et qui n’est peut-être pas la bonne manière de l’aimer.

Mais peut-on aimer bien ? Peut-on aimer bien quand on est fait de chair et que, dans son amour et son désir, on veut à la fois posséder l’être qu’on aime – non pas le manger et le détruire comme on le fait souvent des choses qu’on aime mais le posséder, ce qui est déjà beaucoup – et, simultanément et vraiment, qu’il demeure ce pour quoi on l’aime, quelqu’un de libre et de vivant ? C’est sa liberté, sa liberté irréductible, que revendique en définitive Conchita quand elle proclame qu’elle ne peut (et ne veut) être à personne :

Je suis à moi, et je me garde. Je n’ai rien de plus précieux que moi, Mateo. Personne n’est assez riche pour m’acheter à moi-même.”

Comment aimer bien ? C’est la question qui, plantée comme une flèche au centre de l’amour, vibre et le fait vibrer.

… Et quelle obscure, étrange et mystérieuse chose que le désir, dont l’objet est aussi un sujet !


Le tableau illustrant cet article est le Nu couché à la toile de Jouy, de Léonard Foujita. Il est exposé au Musée d’art moderne de la ville de Paris.

La musique qu’on entend en introduction comme en conclusion est “Τα Παιδιά του Πειραιά” (les enfants du Pirée), de Manos Hatzidakis (Μάνος Χατζιδάκις), tant aimé par l’aimée. La chanson, qui est ici  mise en musique et chantée par le groupe Pink Martini, l’était originellement par Mélina Mercouri, qui joue une prostituée libre et heureuse (qu’elle soit libre  et autonome est important, dans le cadre de ce papier) dans le film Never on sunday, de Jules Dassin.

Et voici le texte du chapitre XI (sous-titré “Tout paraît s’expliquer”) de La femme et le pantin, de Pierre Louÿs. Ce passage intervient alors que, après une longue série de ruptures et de retrouvailles, Mathieu a retrouvé Conchita à Cadiz,  où elle est devenue danseuse de flamenco. Mais, après deux  mois, il vient de découvrir qu’en sus du spectacle qu’elle donne sur la scène, elle danse nue, plusieurs fois par semaine, dans le même établissement, pour quelques clients plus fortunés…

On nous laissa. Les Anglais avaient disparu les premiers.

Monsieur, jusqu’à cette heure-là, j’aurais traité de misérable un homme, n’importe lequel, dont on m’aurait dit qu’il eût frappé une femme. Et pourtant je ne sais par quel ascendant sur moi-même je parvins à me contenir en face de celle-ci. Mes doigts s’ouvraient et se refermaient, comme pour étrangler un cou. Une lutte épuisante se livrait en moi entre ma colère et ma volonté.

Ah ! c’est bien le signe suprême de la toute-puissance féminine, que cette immunité dont nous les cuirassons. Une femme vous insulte à la face, elle vous outrage : saluez. Elle vous frappe : protégez-vous, mais évitez qu’elle se blesse. Elle vous ruine : laissez-la faire. Elle vous trompe : n’en révélez rien, de peur de la compromettre. Elle brise votre vie : tuez-vous s’il vous plaît ! — Mais que jamais, par votre faute, la plus fugitive souffrance ne vienne endolorir la peau de ces êtres exquis et féroces pour qui la volupté du mal surpasse presque celle de la chair.

Les Orientaux ne les ménagent pas comme nous, eux qui sont les grands voluptueux. Ils leur ont coupé les griffes afin que leurs yeux fussent plus doux. Ils maîtrisent leur malveillance pour mieux déchaîner leur sensualité. Je les admire.

Mais pour moi, Concha demeurait invulnérable.

Je n’approchai point. Je lui parlais à trois pas. Elle était toujours debout le long du mur, les mains croisées derrière le dos, la poitrine bombée et les pieds réunis, toute droite sur ses longs bas noirs, comme une fleur dans un vase fin.

« Eh bien ! commençai-je, qu’as-tu à me dire ? Voyons, invente ! défends-toi ! mens encore ; tu mens si bien !

— Ah ! voilà qui est superbe ! s’écria-t-elle. C’est moi qu’il accuse ! Il entre ici comme un voleur, par la fenêtre, en brisant tout, il me menace, il trouble ma danse, il fait partir mes amis…

— Tais-toi !…

— … Il va peut-être me faire chasser d’ici, et c’est à moi, maintenant, de répondre ! c’est moi qui ai fait le mal, n’est-ce pas ? Cette scène ridicule, c’est moi qui la cherche ! Tiens, laisse-moi, tu es trop bête ! »

Et comme, après sa danse mouvementée, des perles de sueur naissaient en mille endroits de sa peau brillante, elle prit dans un buffet une serviette-éponge, et se frictionna du ventre à la tête comme si elle sortait du bain.

« Ainsi, repris-je, voilà ce que tu faisais dans la maison même où je te vois ! Et voilà ton métier ! Voilà la femme que j’aime !

— N’est-ce pas, tu n’en savais rien, innocent ?

— Moi ?

— Mais non. C’est bien cela. Tous les Espagnols le répètent ; on le sait à Paris et à Buenos-Ayres ; des enfants de douze ans à Madrid vous disent que les femmes dansent toutes nues dans le premier bal de Cadiz. Mais toi, tu veux me faire croire qu’on ne t’avait rien dit, toi qui n’es pas marié, toi qui as quarante ans !

— J’avais oublié.

— Il avait oublié ! Il vient ici depuis deux mois, il me voit monter quatre fois par semaine à la petite salle…

— Tais-toi, Concha, tu me fais mal affreusement.

— À ton tour, donc ! Je me vengerai, Mateo, de ce que tu m’as fait ce soir, car tu agis méchamment, par une jalousie stupide, et je me demande de quel droit ! Car enfin qui es-tu pour me traiter ainsi ? Es-tu mon père ? non ! Es-tu mon mari ? non ! Es-tu mon amant… ?

— Oui ! je suis ton amant ! je le suis !

— Vraiment ! tu te contentes de peu ! »

Elle éclata de rire.

J’avais pâli de nouveau.

« Concha, mon enfant, dis-moi, parle-moi, tu en as un autre ? Si tu es à quelqu’un, Je te jure que je te quitte. Tu n’as qu’un mot à dire.

— Je suis à moi, et je me garde. Je n’ai rien de plus précieux que moi, Mateo. Personne n’est assez riche pour m’acheter à moi-même.

— Mais ces hommes, ces deux hommes qui étaient là tout à l’heure…

— Quoi encore ? Est-ce que je les connais ?

— C’est bien vrai ? Tu ne les connais pas ?

— Mais non, je ne les connais pas ! Où veux-tu que je les aie vus ? Ce sont des Inglés qui sont venus avec un guide d’hôtel. Ils partent demain pour Tanger. Je ne me suis guère compromise, mon ami.

— Et ici ? ici même ?

— Voyons, regarde : est-ce une chambre ? cherche dans toute la maison : y a-t-il un lit ? Enfin tu les as vus, Mateo. Ils étaient habillés comme des mannequins, le chapeau sur la tête et le menton sur la canne. Tu es fou, je te le dis, tu es fou de faire un scandale pareil quand je n’ai pas un reproche à recevoir de toi. »

Elle se serait défendue plus mal encore, je crois que je l’aurais justifiée. J’avais un tel besoin de pardon ! Je ne craignais que de la voir avouer.

Une dernière question me torturait d’avance.

Je la posai tout tremblant :

« Et le Morenito ? … Concha, dis-moi la vérité. Cette fois, je veux savoir. Jure-moi que tu ne me cacheras rien, que tu me diras tout s’il y a quelque chose. Je t’en supplie, ma petite enfant !

— Le Morenito ? Il était dans mon lit ce matin. »

Je restai un moment sans conscience, puis mes bras se refermèrent sur elle, et je l’étreignis ne sachant moi-même si je voulais l’étouffer, ou la ravir à quelqu’un d’imaginaire.

Elle le comprit, et tout en riant, elle s’écria :

« Lâche-moi ! lâche-moi, Mateo. Tu es dangereux pour une minute. Tu me prendrais de force dans un accès de jalousie. Bien. Maintenant, reste où tu es ! Je vais t’expliquer… Mon pauvre ami, il n’y a pas de quoi trembler comme tu le fais, je t’assure.

— Tu crois ?

— Le Morenito habite avec ses deux sœurs. Mercédès et la Pipa. Elles sont pauvres ; pour elles et leur frère, il n’y a qu’un lit, et qui n’est pas large. Aussi depuis qu’il fait si chaud, elles aiment mieux dormir moins serrées, après leurs huit heures de danse, et elles envoient le petit aux voisines. Cette semaine, maman fait l’Adoration perpétuelle à la paroisse ; elle n’est pas là quand je suis au lit ; alors Mercédès m’a demandé si j’avais une place pour son frère et je lui ai répondu oui. Je ne vois pas ce qui peut t’inquiéter. »

Je la regardais sans répondre.

« Oh ! reprit-elle, si c’est encore cela, sois tranquille ! Je ne lui cède pas plus que ses sœurs, tu sais. Crois-m’en sur parole. C’est à peine s’il m’embrasse quatre ou cinq fois avant de dormir, et puis je lui tourne le dos, comme si nous étions mariés. »

Elle tira son bas sur sa cuisse droite et ajouta sans se hâter :

« Comme si j’étais avec toi. »

L’inconscience, la hardiesse ou la rouerie de cette femme, car je ne savais à quoi m’en tenir, achevaient d’égarer tous mes sentiments, hors celui de la souffrance morale. J’étais encore plus malheureux qu’irrésolu : mais malheureux à pleurer.

Je la pris sur mes genoux, très doucement. Elle se laissa faire.

« Mon enfant, lui dis-je, écoute-moi. Je ne peux plus vivre ainsi que je fais depuis un an à ton caprice. Il faut que tu me parles en toute franchise et peut-être pour la dernière fois. Je souffre abominablement. Si tu restes encore un jour dans ce bal et dans cette ville, tu ne me reverras plus jamais. Est-ce cela que tu veux, Conchita ? »

Elle répondit, et d’un ton si nouveau qu’il me semblait entendre une autre femme :

« Don Mateo, vous ne m’avez jamais comprise. Vous avez cru que vous me poursuiviez et que je me refusais à vous, quand au contraire c’est moi qui vous aime et qui vous veux pour toute ma vie. Souvenez-vous de la Fábrica. Est-ce vous qui m’avez abordée ? Est-ce vous qui m’avez emmenée ? Non. C’est moi qui ai couru après vous dans la rue, qui vous ai entraîné chez ma mère, et retenu presque de force tant j’avais peur de vous perdre. Et le lendemain… vous rappelez-vous aussi ? Vous êtes entré. J’étais seule. Vous ne m’avez même pas embrassée. Je vous vois encore, dans le fauteuil, le dos tourné à la fenêtre… Je me suis jetée sur vous, j’ai pris votre tête avec mes mains, votre bouche avec ma bouche et, — je ne vous l’avais jamais dit, — mais j’étais toute jeune alors et c’est pendant ce baiser, Mateo, que j’ai senti fondre en moi le plaisir pour la première fois de ma vie… J’étais sur vos genoux, comme maintenant… »

Je la serrai dans mes bras, brisé d’émotion. Elle m’avait reconquis en deux mots. Elle jouait de moi comme elle voulait.

« Je n’ai jamais aimé que vous, poursuivit-elle, depuis cette nuit de décembre où je vous ai vu en chemin de fer, comme je venais de quitter mon couvent d’Avila. Je vous aimais d’abord parce que vous êtes beau. Vous avez des yeux si brillants et si tendres qu’il me semblait que toutes les femmes avaient dû en être amoureuses. Si vous saviez combien de nuits j’ai pensé à ces yeux-là. Mais ensuite je vous ai aimé surtout parce que vous êtes bon. Je n’aurais pas voulu lier ma vie à celle d’un homme égoïste et beau, car vous savez que je m’aime trop moi-même pour accepter de n’être heureuse qu’à moitié. Je voulais tout le bonheur et j’ai vu bien vite que si je vous le demandais, vous me le donneriez.

— Mais alors, mon cœur, pourquoi ce long silence ?

— Parce que je ne me contente pas de ce qui suffit à d’autres femmes. Non seulement je veux tout le bonheur, mais je le veux pour toute ma vie. Je veux vous épouser, Mateo, pour vous aimer encore quand vous ne m’aimerez plus. Oh ! ne craignez rien : nous n’irons pas à l’église, ni devant l’alcade. Je suis bonne chrétienne, mais Dieu protège les amours sincères, et j’irai en paradis avant bien des femmes mariées. Je ne vous demanderai pas de m’épouser publiquement parce que je sais que cela ne se peut pas… Vous n’appellerez jamais doña Concepcion Perez de Diaz la femme qui a dansé nue dans l’horrible bouge où nous sommes, devant tous les Inglés qui ont passé là… »

Et elle éclata en larmes.

« Concepcion, mon enfant, disais-je bouleversé, calme-toi. Je t’aime. Je ferai ce que tu voudras.

— Non, cria-t-elle avec un sanglot. Non, je ne le veux pas ! C’est une chose impossible ! Je ne veux pas que vous souilliez votre nom par le mien. Voyez, maintenant, c’est moi qui n’accepte plus votre générosité. Mateo, nous ne serons pas mariés pour le monde, mais vous me traiterez comme votre femme et vous me jurerez de me garder toujours. Je ne vous demande pas grand-chose : seulement une petite maison à moi quelque part près de vous. Et une dot. La dot que vous donneriez à celle qui vous épouserait. En échange, moi je n’ai rien à vous donner, mon âme. Rien que mon amour éternel, avec ma virginité que je vous ai gardée contre tous. »